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sont donc loin de nous. Les résultats même en ont montré la vanité, et, pensant comme nous pensons aujourd’hui, les Anglais et nous, nous n’avons rien à venger.

Mais le monde ne s’est pas arrêté le lendemain de la bataille d’Austerlitz… Il est vrai, et les traités de 1815 ne sont pas la paix d’Amiens. Il faut s’entendre à demi-mot sur ce tragique sujet, et il y a des choses qu’une plume française ne peut guère écrire. Ne nommons aucun événement par son nom ; passons seulement en revue les motifs de la guerre sans égale qui a commencé entre Dunkerque et Boulogne et fini au Mont-Saint-Jean. Il serait puéril de relever les questions territoriales. Personne ne pense, je suppose, à se quereller pour Malte ou les Iles-Ioniennes, personne à donner le Hanovre à la Prusse. Le système continental trouverait apparemment peu de partisans prêts à tirer l’épée pour le rétablir, et si les droits des neutres sont toujours chose sacrée, ce serait un étrange moyen de les maintenir que de les remettre en question par la guerre, quand la paix leur donne chaque jour une consécration de plus. Quant aux colonies, je ne pense pas qu’on puisse être fort tenté de reprendre Saint-Domingue, et la valeur des possessions transatlantiques a beaucoup baissé dans l’opinion du monde depuis que de plus saines idées et de meilleures habitudes se sont établies en matière de commerce. L’Angleterre a renoncé à ses anciens monopoles, et nul ne conseille d’entreprendre une croisade contre les idées d’économie politique que professe notre gouvernement, pour en créer de nouveaux par des conquêtes au-delà de l’un ou l’autre Océan. Si par un sentiment un peu tardif on regrettait notre ancienne part de l’Inde, le désintéressement serait grand de convoiter un établissement sur un territoire dont le commerce est libre, et qui coûte à ses maîtres le prix que chacun sait aujourd’hui. À parler sérieusement, et pour le dire en passant, toute théorie générale sur les colonies mise à part, la France, dont la vraie grandeur est dans la puissante concentration de ses forces, possède sur le littoral africain la colonie qui lui convient le mieux, vaste empire qu’elle est loin encore d’avoir mis en valeur tout entier, et qui peut devenir pour elle ce que sont réellement pour l’Angleterre ses meilleures possessions. L’Algérie a les avantages de l’Inde, mais plus grands, avec quelques-uns de ses inconvéniens, mais moindres ; elle est déjà devenue un élément vital de notre force militaire ; elle peut en devenir un de notre force maritime, et si, comme on le prétend, il faut à un grand état de vastes terres où se répande le trop-plein de sa population et de ses ressources, combien la France n’a-t-elle pas encore d’efforts à déployer avant d’avoir fait de l’Algérie ce qu’il faut qu’elle devienne, une autre France !

Mais j’entends déjà dire que ce n’est pas pour la guenille des intérêts