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des affaires diplomatiques vues de près apprend que la mauvaise foi et le mensonge y tiennent beaucoup moins de place qu’on ne le dit. On a raison entre cabinets de parler souvent de malentendus. Rien de plus fréquent de gouvernement à gouvernement, et surtout de peuple à peuple, que de ne pas se comprendre. Malgré des rapports continuels, malgré cette correspondance quotidienne de journaux entre deux nations voisines, ce qu’elles ignorent, ce qu’elles supposent l’une sur le compte de l’autre est extraordinaire, et pour peu qu’on ait quelque connaissance de l’Angleterre, on est surpris de tout ce que la France en dit et de ce qu’elle dit de la France. Tenir aux bons rapports avec la France, rien n’est plus commun en Angleterre, c’est un sentiment général ; comprendre les conditions de ces bons rapports est plus rare, et par suite de leur originalité même, de leur caractère profondément national, les Anglais n’ont pas le secret des étrangers. Les Français, malgré plus de souplesse dans l’esprit, ne l’ont pas davantage ; nous sommes trop pleins de nous-mêmes, trop convaincus qu’on nous juge comme nous nous jugeons. Surtout nous voulons trop entendre finesse aux choses, trop deviner d’arrière-pensées, et dans notre crainte d’être dupes, nous compliquons trop les Anglais, qui sont très simples. Nous nous regarderions comme des sots de croire ce qu’on nous dit, et quand on n’est pas de notre avis, nous soupçonnons qu’on nous en veut. Ce n’est qu’en exploitant ce faible de notre esprit qu’on pourrait réussir à nous inspirer contre l’Angleterre de dangereuses préventions. Il faudrait en effet aigrir les personnes pour amener des occasions de conflit qui ne sont pas dans les choses. Si jamais une querelle s’élève, l’intérêt n’y sera pour rien, la vanité aura tout fait.

Sur les plus grandes affaires qui occupent le monde, y a-t-il en effet opposition forcée d’intérêts ou de système entre les cabinets de Paris et de Londres ? Ces questions sont celles d’Orient et d’Italie. Avons-nous besoin les uns ou les autres que l’influence russe soit prépondérante à Constantinople, ou l’influence autrichienne en Italie ? Au fond, chacun pense de même.

Le sort de l’empire ottoman n’est pas probablement aussi près d’être mis en question qu’on le dit dans quelques journaux ; mais il suffit qu’on crût à la possibilité d’une crise, pour qu’on dût y songer. Eh bien ! dût cette hypothèse se réaliser, on ne peut oublier que la première fois qu’on a pu la prévoir, la France a fait son choix, pris son parti et signé de son sang l’engagement de maintenir l’indépendance de l’empire ottoman, ou de n’en laisser disposer qu’à l’Europe unie. Il ne peut entrer dans l’esprit de personne de rétracter à soi seul cette parole que disait aux conférences d’Erfurt Napoléon à Alexandre dans le moment de leur plus intime union : Constantinople,