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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/686

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le premier ministre, le regardant froidement, lui répondit avec sa superbe railleuse : « Je suis persuadé, monsieur le duc, de vos sentimens en cette circonstance. »

Hier placé au faîte du pouvoir, considéré en Europe comme la brillante personnification de la politique de la France, puissant par les amitiés, par la confiance ou même par les craintes qu’il inspirait, aujourd’hui brusquement et durement jeté dans l’exil, telle était la destinée de M. de Choiseul. Heureux homme, disais-je, dans sa disgrâce ! Tombant du pouvoir à cette heure, il n’allait plus assister en témoin impuissant au partage de la Pologne, un peu préparé pourtant par son imprévoyance. Il évitait toutes les responsabilités de la guerre maritime qu’il méditait, en emportant avec lui le prestige d’une pensée patriotique. Il n’avait plus à prendre un parti dans la querelle engagée avec le parlement, et il avait l’attitude d’un grand seigneur libéral dont on avait précipité la chute pour faire le coup d’état Maupeou. Enfin, frappé par Mme Du Barry, il faisait oublier qu’il avait été élevé par Mme de Pompadour, et il semblait résumer dans sa personne les sentimens de dignité froissée de l’aristocratie française. Tout était faveur pour lui, même la dureté de la forme de ce brutal congé qui venait couronner si singulièrement douze années de services. C’est alors que se dessine au sein du XVIIIe siècle ce contraste, cette lutte curieuse d’une cour diminuée dans la considération universelle, et de l’esprit d’opposition allant chercher dans sa disgrâce un homme dont on oubliait les fautes pour ne se souvenir que de ses qualités brillantes. L’esprit de fronde passe au camp de M. de Choiseul. Cette Correspondance inédite de Mme Du Deffand reflète justement les impressions laissées par la chute du duc dans ce monde du XVIIIe siècle où s’essayaient bien des idées et des sentimens qui ne demandaient qu’à se faire jour, et elle raconte d’une façon merveilleuse en même temps ce qu’on fait, ce qu’on dit, ce qu’on pense à Chanteloup.

L’asile splendide où se trouvait relégué M. de Choiseul ne fut pas naturellement, dans un temps comme le XVIIIe siècle, un centre d’action politique ; ce fut le lieu de retraite triomphal d’un homme accoutumé à captiver l’opinion. Tandis que le chancelier Maupeou, libre par la chute de M. de Choiseul, brisait le parlement, tandis que le duc d’Aiguillon allait prendre la direction des affaires étrangères, et que l’étourdissante faveur de Mme Du Barry triomphait à Versailles, une autre cour se formait à cinquante lieues de Paris, en pleine Touraine. L’esprit d’opposition allait où il pouvait, aux princes disgraciés pour avoir épousé la cause du parlement, au ministre exilé, et pendant quelques années un voyage à Chanteloup devenait le pèlerinage obligé de la bonne compagnie de France. Ceux-là.mêmes qui tenaient à la cour furent les premiers à donner le signal