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III. — INTERIEUR.


Le salon est paisible. Au fond, la cheminée
Flambe, par un feu clair et vif illuminée.
Au dehors le vent siffle, et la pluie aux carreaux
Ruisselle avec un bruit pareil à des sanglots.
Sous son abat-jour vert, la lampe qui scintille
Baigne de sa clarté la table de famille ;
Un vase plein de fleurs de l’arrière-saison
Exhale un parfum vague et doux comme le son
D’un vieil air que fredonne une voix affaiblie.
Le père écrit. La mère, active et recueillie,
Couvre un grand canevas de dessins bigarrés,
Et l’on voit sous ses doigts s’élargir par degrés
Le tissu nuancé de laine rouge et noire.
Assise au piano, sur les touches d’ivoire
La jeune fille essaie un thème préféré,
Puis se retourne et rit. Son profil éclairé
Par un pâle rayon est fier et sympathique,
Et si pur qu’on croirait voir un camée antique.
Elle a vingt ans. Le feu de l’art luit dans ses yeux,
Et son front resplendit, et ses cheveux soyeux
Tombent en bandeaux bruns jusque sur ses épaules.

Comme un vent frais qui court dans les branches des saules,
Ses doigts, sur l’instrument tout à l’heure muet,
Modulent lentement un air de menuet,
Un doux air de Don Juan, rêveuse mélodie,
Pleine de passion et de mélancolie…
Et tandis qu’elle fait soupirer le clavier,
Le père pour la voir laisse plume et papier,
Et la mère, au milieu d’une fleur ébauchée,
Quitte l’aiguille et reste immobile et penchée.
Et s’entre-regardant, émus, émerveillés,
Ils contemplent tous deux avec des yeux mouillés
La perle de l’écrin, l’orgueil de la famille,
La vie et la gaîté de la maison, — leur fille.


IV. — BLANCHE.


I


Nous habitions Marly, le plus gai des villages,
Plein de grands souvenirs et de frais paysages.
Son père, le meilleur vigneron du pays,
Près de notre maison possédait un logis.