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et qu’ils nous jettent dans des rêveries tout à fait différentes de celles qu’ils voulaient nous inspirer ? C’est ainsi, — encore une fois pardon, madame, — qu’en lisant ces petits livres où se révèlent, une âme si chrétienne et un cœur si vaillant, j’ai pensé invinciblement, — l’imagination aime les contrastes, — à l’Onuphre de La Bruyère. Vous connaissez Onuphre, un tartufe diminué, un hypocrite à l’état d’essai, une larve de cuistre encore enveloppée dans sa chrysalide, mais qui, le diable aidant, en sortira papillon sinistre, fulgore porte-éteignoir.

Laissons ce triste personnage et passons. Je ne demande qu’à oublier tout ce qui précède, et je ne veux en rien retenir. Mon intention n’est pas de faire la guerre aux sectaires, parmi lesquels Il est tant de vertus solides et d’opiniâtres convictions, et je ne voudrais pas qu’aucun de ceux qui méritent le respect de tous pût se méprendre sur la valeur de mes paroles. Ils ne s’y tromperont pas, je l’espère, et ils en comprendront aisément le sens véritable. Toutefois, même à ceux-là dont j’honore le caractère et dont j’admire le talent, même à ceux venus de points si divers, sortis de rangs si opposés, qui, par leur sympathie avouée ou secrète, nous.imposent le doux fardeau d’une éternelle reconnaissance, je dois cette confession, que l’esprit de secte est de toutes les choses du monde de l’intelligence celle qui est le plus antipathique à ma nature. L’esprit de secte me semble conduire aux mêmes résultats moraux que le scepticisme à outrance. Quoiqu’il soit fort de ses doctrines bien arrêtées, qu’il se glorifie de son credo inébranlable, auquel rien ne peut être changé, il est cependant un esprit de négation et d’exclusion. Il glace la charité, paralyse la sympathie, resserre l’intelligence, même chez les meilleurs et les plus éloquens. Il peut bien inspirer le dévouement à une cause déterminée, à des intérêts de second ordre, mais non le dévouement à une cause supérieure et à des intérêts généraux. Il aime à placer la petite patrie au-dessus de la grande, à faire tenir toute l’humanité dans quelque étroite chapelle, et ce qu’il y a de pis, c’est que la puissance d’action de l’esprit de secte, loin d’augmenter par ce resserrement de toutes les facultés et cette exclusion violente de toutes les opinions opposées à la sienne, en est au contraire diminuée. Le sectaire, quelque éminent que soit son mérite, ne convertit jamais que ses propres coreligionnaires. L’éloquent M. Spurgeon, pour prendre un exemple contemporain, pourra bien traîner après lui des foules innombrables, mais il est probable que les curieux et les amateurs de l’éloquence composeront toujours la plus grande partie de ces foules, et qu’il ne convertira jamais à ses doctrines de prédestination que les fidèles qui y croient déjà. Dès qu’un homme a perdu sa liberté, disaient les anciens, il a perdu la moitié de sa valeur. Il