Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/720

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sauveur, comme autrefois auprès du puits de la Samaritaine, et pour laisser glisser sa barque, le lac aplanit encore une fois ses ondes. Voilà pour Mme de Gasparin l’exemplaire du bonheur enviable, voilà le vrai paradis ! Se chercher, se retrouver, s’aimer encore ! Il serait doux de converser avec les pèlerins d’Emmaüs, doux de remercier Joseph d’Arimathie, doux de vivre, comme autrefois, avec Marthe, Marie et Lazare ! Mais si, au sortir de la grande tribulation, nous devons, pour tout bonheur, nous plonger dans la mer australe d’une béatitude où l’on perd forme, figure, souvenir, conscience, l’auteur le déclare presque, il préférerait l’anéantissement, ou, pis encore, l’éternel regret de la terre. « Mieux vaut regretter toujours que d’être ainsi consolé. »

Ainsi, vous le voyez, cette âme protestante n’est rien moins qu’enchaînée par les liens d’une formule, et les terreurs superstitieuses lui sont aussi inconnues que les routines pédantesques. Elle est novatrice en plus d’un sens et bat en brèche plus d’un funeste préjugé religieux, et plus d’un dogme contestable et cruel. Elle proteste hardiment contre le paradis qui fait peur, elle combat avec une vaillance infatigable cette frayeur qui est le fléau du calvinisme, la mauvaise crainte de Dieu. Elle s’est plu à montrer dans les personnages qu’elle met en scène les ravages de cette maladie morale sur les âmes humbles et ignorantes. La pensée de Dieu pèse sur ces intelligences naïves comme un cauchemar, et les oppresse comme un remords. Rien ne les rassure, ni leurs actes irréprochables, ni leur conduite sans tache ; elles pleurent et ne sont pas consolées ; elles expient leurs fautes et ne sont pas rassurées. Ici que l’auteur nous permette de la remercier de la sincérité avec laquelle elle a mis le doigt sur le plus grand défaut du protestantisme : l’absence de sécurité pour l’âme meurtrie et tourmentée lorsque cette âme est en même temps ignorante et simple. C’est un beau spectacle que celui d’une âme protestante, habituée à la lumière intellectuelle, luttant seule contre l’adversité, l’erreur ou le danger : un spectacle à ravir Dieu et à le rendre jaloux de son ouvrage. Mais les pauvres intelligences qui ne sont pas habiles à l’analyse et que le recueillement accable, comme il leur arrive parfois de souffrir ! Comme elles cherchent autour d’elles des consolations ! Il arrive bien souvent à Mme de Gasparin d’avouer qu’elle a été appelée en consultation spirituelle. Je n’insiste pas. Après tout, le salut est une affaire individuelle, et sans doute ceux qui redoutent Dieu ont quelque raison de craindre qu’il prononce sur eux le vœ victis. D’ailleurs ces âmes condamnées ou prédestinées, — pardon du mot, mais nous ne savons guère sur le mystère de notre existence que ce que nous a appris sous une forme ou sous une autre la vieille doctrine de l’irrévocable destinée, — ne