Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/726

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’expression de la parole, véhicule de l’accent de rame. À vrai dire, les Italiens, qui ont créé l’opéra, n’ont jamais prétendu le contraire, et depuis Monteverde, qui, à la fin du XVIe siècle, fut aussi un réformateur hardi, jusqu’à Jomelli et à Cimarosa, on a poursuivi au-delà des Alpes le même but que se sont proposé l’école française et l’école allemande, les seules, avec l’école italienne, qui existent au monde, car il est impossible de supposer que des maîtres tels que Pergolèse, Jomelli, Sacchini, Cimarosa, Paisiello, aient prétendu que la musique d’une fable dramatique ne devait pas répondre au caractère des personnages, ni à la nature des passions qui les animent. Seulement la sensualité expansive du public italien, son goût exclusif pour la musique vocale et l’apparition, pendant le XVIIIe siècle, d’une succession des plus admirables chanteurs qui aient existé, ont fait promptement dévier l’opéra séria en une sorte de cantate contenant une ou deux situations contrastées, qui suffisaient pour mettre en évidence la bravoure d’un virtuose comme Cafarelli ou la Gabrielli. Les compositeurs étaient soumis aux caprices de ces êtres étranges et maladifs qu’une affreuse industrie avait jetés dans la carrière dramatique, où ils régnaient en maîtres. Les poèmes d’opéra séria d’Apostolo Zeno et ceux de Métastase, qui est venu après, ne contiennent qu’un très petit nombre de personnages et quelques situations touchantes, sans profondeur et sans grands développemens. C’est dans la comédie lyrique, dans l’opéra buffa, que l’Italie, qui n’a jamais pu avoir de tragédie avant Alfieri, est restée inimitable et supérieure à toutes les nations.

En venant en France en 1774, Gluck trouvait un public parfaitement disposé à seconder ses vues, et un grand spectacle lyrique qui répondait aux besoins de son génie. La tragédie lyrique, telle que Lulli et Quinault l’avaient créée dans le siècle de Louis XIV, c’était une fable noble, intéressante, où la musique n’était admise que pour rehausser l’éclat et l’expression de la parole, et produire cette déclamation pompeuse qui ne différait de la tragédie de Corneille et de Racine que par une sonorité plus accentuée. Une symphonie d’introduction, quelques airs de danse, de petits chœurs, des machines et des ballets, voilà les différens élémens dont se composent les opéras de Lulli, de Colasse et de leurs successeurs. Rameau ne change rien au cadre de la tragédie lyrique créée par Lulli, qui en avait emprunté l’idée aux Italiens ; il n’y ajoute qu’un plus grand développement de l’élément musical, des chœurs plus nourris, une instrumentation plus colorée, des formes mélodiques moins sèches et moins timorées. Eh bien ! c’est ce même système de tragédie lyrique que Gluck s’approprie, qu’il enrichit et qu’il ranime du souffle de son génie. Entre les opéras de Lulli, de Rameau et les chefs-d’œuvre de Gluck, il n’y a de différence que le génie du compositeur et l’état où se trouve la langue musicale. Qu’on examine de près la partition de l’Armide de Lulli et qu’on la compare à celle de Gluck, on sera étonné de la ressemblance des procédés et de certains morceaux, tels que l’air de Renaud, — plus j’observe ces lieux, — dont celui de Gluck reproduit le dessin, mais avec un coloris et un développement musical que Lulli ne pouvait pas connaître. Il n’y a pas jusqu’à ce ton de fière suffisance que se permettait Gluck qui ne se trouve aussi dans Lulli, qui dit à Louis XIV, en lui dédiant son opéra d’Armide : « De toutes les tragédies que j’ai mises en musique,