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de l’improvisation sont nécessairement contenues en de certaines limites, et la part de l’originalité est moins grande. Les amoureux ne se font remarquer que par une nullité profonde. Complètement conduits par leurs valets, on pressent qu’ils auront plus tard le sort de leurs pères. Ce ne sont pour le moment que héros de galanteries, pâture d’usuriers, mannequins pavoises de rubans, bourrés de madrigaux et ruisselant d’eaux de senteur. Il n’en faut point tant d’ailleurs pour toucher Clarice et soumettre Lucrèce : « Que vous êtes jolie ! — Vous êtes bien obligeant. — Oh ! point, je dis la vérité. — Vous êtes bien joli aussi, vous ! — Tant mieux ! Où demeurez-vous ? Je vous irai voir. » Lelio prête-t-il directement le flanc au ridicule : il devient alors le beau Léandre, ignorant, maladroit, poltron, recevant à l’endroit voulu les coups de pied destinés à Pierrot. Colombine, à laquelle il daigne parfois descendre, fait fi de sa noblesse et lui préfère Arlequin. — Naturellement les filles sont plus intéressantes. Il faut si peu de chose pour composer un caractère de femme à la scène ! Avec quelques nuances seulement d’Isabelle et de Silvia, Molière fait Agnès et Henriette. — Les soubrettes enfin sont vraies maîtresses de Mascarille et vraies filles de Brighella : paysannes malicieuses ou confidentes rusées, elles trompent pères, maîtres, tuteurs, maris, amans, pour le moindre bijou, que dis-je ? pour le seul plaisir de tromper.

Enfin il ne faut pas oublier ce monde si curieux de comparses et de bouffons qui s’agite au dernier plan, et que Callot a si bien reproduit dans ses Petits Danseurs. M. Maurice Sand a rassemblé sur ce sujet de nombreux et intéressans détails. On sait que le véritable titre de ce recueil de Callot est i Balli di Sfessania (danses fescenniennes). Fescennia, petite ville de la Gaule Cisalpine, dont les ruines se voient encore à un quart de lieue de Galesa, peut disputer aux traditions grecques et osques, aux influences napolitaines, l’honneur d’avoir répandu dans le nord de l’Italie la commedia dell’ arte. Toujours est-il qu’elle donna naissance à une spécialité de bouffons que les Romains appelaient mimi septentriomis, qu’elle inventa un genre de vers satiriques, de nature primitive et d’expression grossière, dont Horace a dit :

Fesccanina per hunc inventa licentia morem
Versibus altérnis opprobria rustica fudit.


Les acteurs fescenniens dansaient presque nus en s’accompagnant de castagnettes ; ils font suite directe aux acrobates grecs, aux funambules latins et aux phallophores de Sicyone. Qui n’a feuilleté les dessins de Callot ? Qui ne se rappelle ces créatures longues et osseuses, vêtues d’habits collans, ces mimes barbus enveloppés dans de larges pantalons, portant longue plume au chapeau et sabre de bois ? Qui ne se souvient de Pasquariello et de Cucorongna, de Trastullo baisant la pantoufle de Lucia, de Franca-Trippa et de Fritellino, qui dansent en s’accompagnant l’un de son sabre de bois, l’antre d’une mandoline ?

Telle apparaît au premier coup d’œil l’immense variété de personnages qui peuplent la comédie improvisée. M. Maurice Sand les a tous soigneusement décrits, en cherchant la raison de leurs mille nuances dans les circonstances locales et aussi dans le jeu varié des bouffons célèbres qui ont