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la pièce d’argent dans ma main et je souhaitai[1]… Je ne sais point si j’étais rouge dans ce moment, mais il comprit le vœu que j’avais formé tout bas, car il me dit : « Cela sera ; ma parole vaut bien celle de la lune. » En effet, six mois après nous étions mariés. William était un bon ouvrier qui ne dépensait point son argent avec les camarades ; aussi notre petite maison prospéra, et notre mariage fut béni par la naissance de deux enfans. Je n’étais pourtant point sans inquiétude, car je connaissais bien la méchanceté des esprits. Chaque fois qu’il tardait à revenir de son travail, ma tête était perdue. Un soir (il y a de cela dix-huit mois), j’avais compté inutilement les heures après les heures ; en proie à une agitation extrême, je courus vers la bouche de la fosse. Je lus tout de suite sur le visage des hommes qu’il était survenu un accident au fond de la mine. Ils voulaient me retenir, mais je m’élançai malgré eux dans le tonneau. Comme ils virent que j’étais résolue, ils consentirent à lâcher la chaîne, La mine était silencieuse et noire : les travaux avaient cessé. Dans tout autre moment, j’aurais eu peur ; mais la crainte d’un danger réel et d’un événement terrible me donna du courage. Je me dirigeai de pilier en pilier jusqu’au fond de la mine, où brillait un groupe de chandelles. Vous pouvez juger de mon désespoir quand, au milieu d’un cercle de mineurs, j’aperçus mon mari couché presque insensible sur des morceaux de sel amoncelés ; un camarade lui soutenait la tête. Les autres ouvriers avaient jeté sur lui leurs habits pour le couvrir. Il me reconnut et voulut sourire ; mais la pâleur de la mort était sur son visage. On avait envoyé chercher un médecin qui arriva sur les lieux au bout de quelques minutes. Le docteur l’examina, puis, secouant la tête d’un air qui me glaça le sang dans les veines, il se fit expliquer la nature de l’accident. « Ce bloc est tombé sur lui, » dit l’un des ouvriers en montrant une énorme masse de sel qui gisait à terre. Sur l’ordre du médecin, deux camarades soulevèrent mon pauvre homme avec précaution et retendirent sur un traîneau qui glissa vers l’ouverture de la fosse. Durait le trajet, je soutenais sa main droite qui était pendante et froide ; mais quand nous arrivâmes au shaft, il expira. Les mineurs sont bons entre eux et compatissent au sort des pauvres veuves : ils m’aidèrent à monter ce petit commerce, et maintenant ils viennent boire dans ma beer-shop, de préférence à toute autre du voisinage. »

Tels sont les dangereux travaux d’extraction que nécessite le sel. Pour connaître les applications de ce minéral, c’est dans d’autres districts industriels ou agricoles que j’avais à me transporter.

  1. Superstition très répandue en Angleterre.