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d’origine écossaise, qui s’introduit dans l’intérieur des maisons et déroule son ballot de marchandises pour tenter la coquetterie des femmes ou l’amour-propre des hommes. Ce Mercure au pied léger se rencontre dans toutes les parties de la ville, mais surtout dans les quartiers où réside la classe ouvrière. Ses visites, sa constance, ses propos, sont infatigables, ses amorces irrésistibles. Il vend tout à terme, moyennant un paiement convenu par mois ou par semaine : ai-je besoin d’ajouter qu’il prélève de gros intérêts pour le crédit ? Il en résulte que, le démon de la toilette aidant, le gain de la semaine s’évapore trop souvent en bagatelles ruineuses. Je ne voudrais pourtant pas qu’on jugeât tous les ouvriers de Sheffield sur ce portrait général. Il en est qui à l’adresse des mains joignent les qualités d’ordre qui conservent les fruits du travail. Ces derniers ont aussi leurs jardins : ce sont des morceaux de terre enclos de murs ou de haies, où ils se rendent dans l’après-midi du samedi[1] et le dimanche. Ces jardins, cultivés avec goût et groupés ensemble, forment, vus à distance, une joyeuse masse de verdure. Tous les ouvriers d’ailleurs ne demeurent point dans l’intérieur de la ville ; j’ai visité un trempeur de limes qui avait bâti lui-même une petite maison dans un faubourg sur des terrains concédés pour vingt et un ans. Il avait trouvé sur place les matériaux nécessaires à la construction de son cottage. Le grès gris abonde à Sheffield autant que le grès rouge dans les environs de Chester : il se présente même volontiers à fleur de terre. Cette excellente pierre lui avait fourni les fondemens et la toiture de sa maison ; il y a en effet jusque dans la ville plusieurs habitations recouvertes d’après un semblable système. Ces toits de grès sont lourds, mais solides ; ils conviennent surtout dans la saison d’hiver, et je dois dire qu’il pleut beaucoup à Sheffield. Sa maison étant construite, l’ouvrier divisa le terrain qui lui restait en trois parties, le verger, le potager et le jardin de fleurs. Tout cela était arrangé avec un goût parfait ; il y avait même une cage de verre pour les plantes frileuses et délicates. Une jeune femme et trois enfans égayaient cet intérieur modeste, où le travail, la propreté et une certaine aisance répandaient le parfum des vertus et du bonheur domestiques. Le lundi matin, les ouvriers de Sheffield retournent dans les ateliers, et la ville présente alors un aspect curieux. Les foyers éteints des fabriques se sont réveillés dans la nuit du dimanche au lundi ; on voit par un ciel pur monter de distance en distance un nuage de fumée qui enveloppe le soleil levant et finit par l’obscurcir. Après tout, cette fumée est vénérable ; c’est le signe du travail. Les mille tuyaux qui

  1. L’habitude s’est introduite dernièrement en Angleterre d’accorder aux ouvriers » et aux employés des fabriques ce qu’on appelle a half holyday, un demi-jour de fête ou de congé.