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épouvanté de ressentir au fond de son cœur une si vive tendresse pour Marie. Dès que sa mère fut de retour de la grand’messe, Louis descendit résolument vers la Grand’Prée, sans se hâter et avec le courage d’un homme qui veut remplir un devoir, coûte que coûte ; mais il avait beau se contenir, son cœur battait plus vite que de coutume. Il lui semblait que les rouges-gorges perchés sur les barrières des champs le regardaient passer d’un air narquois, et que les corbeaux croassant dans les airs voulaient, par leurs cris, le détourner de son projet. Il y a ainsi dans la vie des momens solennels où tout inquiète ; on hésite, et pourtant on va droit à son but, bien que l’on sente qu’il s’agit de jouer son repos à pile ou face. Arrivé à la barrière de la prairie, le métayer remarqua sur l’herbe l’empreinte des pas traînans de la vieille folle. Il suivit cette trace, qui le conduisit, comme il l’avait prévu au pied du rocher. Les ronces en recouvraient la base, et rien ne trahissait aux regards les plus attentifs l’existence d’une ouverture dans laquelle une main humaine pût s’introduire. Après une minute de réflexion, Louis coupa dans la haie voisine une longue baguette de coudrier et se mit à sonder le terrain. Les lézards, troublés dans leur repos, couraient çà et là sur les lichens, disparaissant au fond des petites fissures et reparaissant encore, comme s’ils eussent pris plaisir à ces évolutions ; mais la baguette de coudrier ne rencontrait partout que le rocher. — Fou que je suis d’avoir prêté l’oreille aux contes d’une vieille folle ! — pensa le jeune homme. Dans son dépit, il tourna le dos au chiron, et tous les rêves qui l’agitaient quelques minutes auparavant, rêves de chagrin plus que de joie, s’envolèrent de son esprit, comme un essaim de moineaux importuns. Il allait donc retourner à la métairie, remis de ses agitations passagères, heureux et presque fier d’avoir repris la possession de son calme habituel, quand le chien de garde, sautant par-dessus la barrière du pré, vint gambader autour de lui. Tout joyeux d’avoir rejoint celui dont il cherchait les traces, l’animal courut dans l’herbe en aboyant et en décrivant de grands cercles ; puis, passant à côté du chiron, il s’arrêta et s’enfonça sous les ronces.

— Cherche là, cherche, l’Abri, dit le jeune métayer revenant malgré lui à ses premières investigations, cherche, mon chien !

L’Abri, caché par les épines, grattait avec ses pattes les feuilles et les branches mortes accumulées au pied du rocher. Louis se glissa sous les ronces par l’ouverture que son chien y avait pratiquée, et bientôt une pierre ronde roula sous l’effort de ses deux mains. Dans le trou que recouvrait cette pierre, il plongea le bras, et il en retira les deux objets dont la vieille femme avait parlé : un sac rempli de pièces d’or et une cassette qui renfermait des parchemins. Devenu