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— Allons, Marie, dit le grand Louis en lui présentant une chaise, asseyez-vous derrière ma mère, et tenez-vous bien à sa devantière, parce que la jument trotte un peu dur.

Marie se plaça de côté sur la croupe de la jument, tandis que Louis attachait le sac de cuir aux pièces d’or sur le pommeau de la selle, en manière de bougette. Elle ramenait sur ses genoux les plis de sa grosse jupe rayée, qui laissait à découvert les brides noires de ses sabots. La mère Jacqueline appuya par trois fois l’éperon rouillé contre les flancs de la jument, et la bête lymphatique se décida à partir au petit trot. — Vous aurez bien soin de veiller à tout, mes gars ! dit la mère de famille à ses trois jeunes fils.

— Adieu, René ; adieu, Jean ; adieu, Mathurin, dit Marie en faisant un signe de tête amical.

Et les trois jeunes hommes, ôtant leurs grands chapeaux, la regardèrent sans rien répondre. N’ayant de leur vie parlé à une dame ni à une demoiselle, ils demeurèrent la bouche close. Le chien de garde, plus familier et plus hardi, voulut accompagner la jument ; il gambadait aux pieds de Marie la Fileuse, comme pour lui demander de l’emmener avec elle. Sur un geste que lui fit le grand Louis, la pauvre bête alla piteusement se recoucher dans l’aire, et les trois voyageurs se mirent en route. La jument trotta bien cinq minutes, après quoi le mauvais état des chemins, ravinés par les pluies de l’hiver et troués d’ornières profondes, l’obligea d’aller au pas. Louis marchait en avant, avec ses houseaux et ses souliers ferrés, le cuir de son bâton roulé autour de son poignet. Le soleil levant effleurait de ses rayons la cime des coteaux ; les gros bœufs fauves, couchés dans l’humide brouillard qui s’élevait sur les prairies au fond des vallées, ruminaient nonchalamment. Les coqs chantaient en battant de l’aile sur les barrières des métairies, et les chiens vigilans faisaient retentir les échos de leurs aboiemens prolongés. Tout s’éveillait dans les vertes solitudes du Bocage. L’alouette montait à tire-d’aile au-dessus des seigles où elle cache son nid ; le râle poussait son cri strident à travers les genêts, et la perdrix, inquiète de voir l’épervier aux ailes arquées planer au-dessus des guérets, rappelait sous son aile ses petits effarés. Sous l’épais feuillage des aulnes, penchés au-dessus des ruisseaux, les ramiers roucoulaient et volaient à grand bruit, tandis que la tourterelle, secouant la rosée du matin, s’élevait en planant sur la cime des ormeaux pour retomber lentement auprès de sa couvée. Délicieux mois de l’été, saison pleine de force, où le soleil triomphant lance sur les campagnes des torrens de lumière et des rayons brûlans !

Bien qu’élevée au milieu des champs, jamais encore Marie n’avait ressenti l’influence vivifiante de ces belles matinées de juin. Les