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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/814

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préparait à répondre aux questions que lui adresserait Mlle de La Verdière, sa tante, et s’inquiétait de la manière dont elle serait reçue par celle-ci. Si elle l’eût osé, elle se serait mise à faire la révérence au milieu de l’allée pour s’exercer à saluer. La crainte de paraître gauche et paysanne la préoccupait ; ce n’était pas sans rougir qu’elle se surprenait à faire avec le bras gauche le mouvement de la fileuse qui redresse sa quenouille. Tandis qu’elle s’agitait ainsi intérieurement comme la chrysalide qui va devenir papillon, la métayère tira de sa poche un morceau de pain, et le séparant en deux parts :

— Marie, dit-elle à la jeune fille, rompons le pain ensemble une dernière fois. Quand je t’ai recueillie à La Gaudinière, j’en avais à peine assez pour mes enfans et pour moi ; pendant bien des années, tu ne pouvais rien faire, et je te nourrissais tout de même… Tu es pourtant bien aise de nous quitter ; tu as peut-être honte d’avoir vécu avec des paysans comme nous !…

Marie embrassa la vieille Jacqueline avec un sentiment profond de reconnaissance. — Si je pouvais vous rendre ce que vous avez fait pour moi, répondit-elle vivement ; si je pouvais m’acquitter envers vous !

— Grâce à Dieu, répliqua la métayère, nous voilà tirés d’affaire désormais ; mes gars sont grands… Et puis ce qu’on prend sur son nécessaire, on le donne de si bon cœur qu’on n’en redemande jamais le prix… Allons, Marie, levons-nous ; entendez-vous mon fils qui nous appelle ?

Louis paraissait en effet à l’extrémité de l’allée ; il appelait à grands cris sa mère et la jeune fille en leur faisant signe de venir. Les deux femmes se levèrent. Marie, tremblante d’émotion, prit le bras de la métayère ; après avoir passé sous l’ombre des grands arbres et traversé le pont jeté sur les douves, elles arrivèrent devant le perron du château. Une dame âgée, de haute taille, mise avec distinction et simplicité, s’avança pour les recevoir.

— Bonjour, ma bonne femme, dit-elle à la métayère, bonjour ; eh bien ! vous me ramenez donc ma pauvre nièce, la fille de ma sœur tant pleurée !… Venez, petite, que je vous embrasse !…

Marie, rassurée par cet accueil affectueux, s’approcha de Mlle de La Verdière, qui la pressa sur son cœur avec attendrissement.

— Asseyez-vous là tous les trois sur ces fauteuils, continua Mlle de La Verdière en prenant place elle-même sur un siège à roulettes auprès de la fenêtre ; on va vous servir une collation… Marie, ma petite, ôtez votre coiffe, je vous prie, et secouez un peu ces cheveux blonds de manière qu’ils flottent librement sur votre cou… C’est cela ; relevez votre tête, mon enfant, ne rougissez pas, regardez-