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beaucoup de gens qui regrettaient la calme somnolence de l’ancien régime ; mais la domination espagnole était évidemment ruinée ; le parti conservateur se mit en devoir de lui succéder. Dès les premiers temps de l’indépendance, il eut la bonne pensée de créer un centre d’instruction supérieure où pussent se former les citoyens appelés à servir leur pays. Telle fut l’origine de l’Institut national de Santiago, dont l’influence sur le développement intellectuel et politique du Chili est remarquable.

Lorsque le temps fut venu de donner une constitution régulière au Chili, — c’était vers 1829, — les théoriciens inconsidérés, poussés en avant par le souffle de l’opinion, eurent l’avantage au sein du congrès, et y firent prévaloir les principes de la démocratie absolue. Ce nouveau régime n’était pas en harmonie avec les élémens dont la nation était composée : l’expérience ne lui fut pas favorable. Le désordre amena la guerre civile, et comme d’ordinaire le parti conservateur reprit l’ascendant. Les vainqueurs reçurent vers cette époque le sobriquet populaire qui leur est resté, pelucones (les perruques), allusion aux tendances rétrogrades dont on les soupçonnait. La vérité est que la plupart d’entre eux tenaient en honneur les traditions, quelquefois même les préjugés de l’ancien monde espagnol. Sans être les adversaires systématiques du progrès, la nouveauté leur était suspecte, surtout en ce qui concerne le régime des terres et cette espèce de patronat féodal qu’ils conservent sur leurs colons. L’éducation qu’ils avaient reçue les avait rarement mis en état de discerner par eux-mêmes la part qu’il faut faire aux tendances de l’époque et à la condition spéciale des sociétés sud-américaines. Aussi ne formaient-ils pas un de ces partis politiques qui savent nettement ce qu’ils veulent et marchent par leur propre impulsion vers un but déterminé. Ils ont dès lors pris l’habitude de se laisser guider et de mettre tout ce qu’ils ont de crédit au service des chefs en possession de leur confiance.

Cette disposition des pelucones a fait le salut du Chili en les sauvant eux-mêmes. Il y avait alors pour les guider des esprits d’une rare sagacité, de véritables hommes d’état, qui comprirent que le Chili avait besoin d’une sorte de noviciat républicain, que s’il était urgent de résister aux excès démagogiques, il fallait aussi, dans l’intérêt de la classe supérieure, opposer un obstacle aux abus de sa prépondérance. Cette pensée politique a inspiré la constitution de 1833, qui, tout en restant républicaine et démocratique, tend à fortifier le pouvoir présidentiel comme une garantie de sécurité publique et comme un organe modérateur entre les élémens extrêmes et disparates dont la population chilienne est composée.

On fait honneur de cette constitution à Diego Portalès, quoiqu’il