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n’est qu’une sorte de vêtement transparent sous lequel l’art français laisse assez aisément deviner sa physionomie et ses allures accoutumées. Bien qu’un peu sacrifiée parfois à la recherche systématique, la sincérité pittoresque ne fait pas défaut, l’indépendance de la pensée et du style n’est qu’à demi compromise. Si cette image du Jugement dernier ne réussit pas à pénétrer l’âme du spectateur de la terreur pieuse que comportait un pareil sujet, par la majesté de l’ordonnance et la justesse des intentions partielles elle est digne de l’école française, digne du noble artiste qui manifeste ailleurs avec tant d’éclat son profond savoir et son goût. Les peintures décoratives de Fréminet à Fontainebleau pèchent au contraire par une affectation avouée dans l’expression générale aussi bien que dans les détails. Ici la préoccupation de la grandeur n’aboutit qu’à l’emphase, la science dégénère en pédantisme, la soumission aux exemples florentins en parti-pris d’imitation servile. Nul respect de la vraisemblance, nul souci même des convenances imposées par le sujet. Les scènes et les personnages bibliques servent invariablement de prétexte à des attitudes tourmentées, à je ne sais quel étalage de lignes impétueuses et d’accidens anatomiques, si bien qu’au sortir de cette manie du grandiose et de ces jactances, la molle facilité de Simon Vouet apparaît presque comme un dédommagement et comme un bienfait.

On ne saurait cependant attribuer, tant s’en faut, une grande force d’expansion religieuse aux tableaux peints par Vouet, ni en général aux œuvres produites par l’école française dans tout le cours du XVIIe siècle. Les maîtres même les plus éminens de l’époque n’ont sur ce point, on l’a vu, qu’une puissance assez limitée. Sans doute chez Poussin le cœur est aussi grand que l’esprit ; mais ce cœur, ouvert aux méditations profondes, est plus malaisément accessible aux inspirations spontanées, aux suggestions du sentiment. Examinez les tableaux sur des sujets sacrés qu’a laissés l’austère contemporain, on dirait presque le frère par le génie de Descartes et de Corneille : vous admirerez partout la vigueur et la fierté de la pensée, l’incomparable fermeté du style ; vous n’y surprendrez presque jamais la trace d’une émotion tendre, d’un entraînement involontaire, le souvenir d’une vision surnaturelle. Est-il jamais arrivé à Poussin par exemple de rêver et de peindre une figure d’ange, une tête de Christ exprimant quelque chose de plus que l’intelligence ou la majesté humaine ? Non, le peintre du Ravissement de saint Paul et des Sept sacremens, des Aveugles de Jéricho et de la Femme adultère, est un moraliste qui spécule sur les faits et qui nous les explique plus encore qu’un poète qui nous transporte avec lui dans les régions de l’idéal. Poussin exerce dans