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il n’y a qu’une faible nuance entre les deux systèmes. Suivant la méthode habituelle de l’école écossaise, Smith commence par l’observation d’un fait de sentiment, puis il en déduit pendant deux volumes une foule de conséquences ingénieuses. Le fond des idées est un peu subtil, le tissu des développemens un peu délié, la distinction des nuances un peu indécise ; mais que de finesse, de grâce et de bonté communicative ! On se sent comme doucement porté dans un air calme, au milieu d’une lumière qui n’a rien d’éclatant, mais qui plaît à l’âme, vers le temple idéal de la sérénité élevé par le génie des sages de tous les temps.

Adam Smith ramène les différens systèmes de philosophie morale à trois principaux, celui qui fait consister la vertu dans ce qu’il appelle la convenance ou la propriété des actions, celui qui la fait consister dans l’utilité personnelle ou la prudence, celui qui la fait consister dans la bienveillance ou la sympathie. « Ces trois systèmes renferment, dit-il, toutes les définitions qu’on peut donner de la vertu, et il n’en est point qu’on ne puisse rapporter à l’un de ceux-là, quelque éloigné qu’il en soit en apparence. Le système qui fait consister la vertu dans l’obéissance à la volonté divine peut être rangé parmi ceux qui la placent dans la prudence, ou parmi ceux qui la placent dans la propriété des actions. Quand on demande pourquoi on doit obéir à la volonté divine, on peut répondre de deux manières à cette question, qui serait absurde et impie, si elle impliquait le moindre doute sur le devoir d’obéissance. On peut dire d’abord que nous devons nous soumettre à la volonté de Dieu, parce qu’il récompensera ou punira éternellement notre obéissance ou notre désobéissance, ou bien répondre qu’indépendamment de la considération des peines et des récompenses, il convient qu’une créature obéisse à son créateur, qu’un être imparfait et borné se soumette à un être dont la perfection est infinie. On ne peut faire que l’une ou l’autre de ces deux réponses. Si c’est la première, la vertu consiste dans la prudence ou dans la poursuite de notre intérêt ; si c’est la seconde, la vertu consiste dans la propriété ou la convenance de nos actions, puisque le principe de notre obéissance est la convenance des sentimens de soumission et d’humilité à l’égard de la perfection divine. »

Adam Smith n’exclut absolument aucun de ces trois systèmes, pas même le second, mais il donne une préférence marquée au troisième, qui rapproche l’homme de Dieu. « La bienveillance doit être, dit-il, le seul motif des actes de la Divinité, car il est difficile de concevoir qu’une autre cause puisse agir sur un être indépendant et parfait. »

Le système qui fait consister la vertu dans la bienveillance est,