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lignes de contact, le croisement des races y a aidé en même temps que la fertilité d’un sol qui invitait à des demeures stables. Malgré cette transformation, le type arabe se reconnaît à la taille bien prise, au front haut et large, au profil fin et accentué, à la physionomie grave, à la noblesse de toute la personne, élégamment drapée dans les plis du burnous.

À ce fonds de population se mêlent deux élémens secondaires qui ont conquis un rôle important par le nombre et l’utilité : ce sont les Juifs et les Abids ou esclaves ; enfin deux élémens de troisième ordre, qui ne comptent que par l’intelligence : les chrétiens, au nombre de quatre ou cinq cents, qui font le commerce dans les villes du littoral, et les renégats, en nombre à peu près égal, épars un peu par tout le pays, malheureux évadés des présides espagnoles, qui ont abjuré pour échapper à l’extradition, ou déserteurs de l’armée d’Afrique qui avaient quelques méfaits à expier. Au rôle à peu près nul de ces chrétiens fidèles et infidèles, dont les derniers ont mis leur savoir fort médiocre en art militaire et en industrie au service du Maroc, une simple mention suffit : il en est autrement des Juifs et des Abids. Le Maroc a été moins dur pour les Juifs que bien des nations chrétiennes : il a donné asile à cette multitude d’infortunés que proscrivirent en divers temps l’Italie, l’Espagne, le Portugal, la France même. Les Marocains n’épargnent sans doute aux Juifs ni les outrages ni le mépris, mais ils les laissent vivre et mourir suivant la loi de leurs pères. Aucune inquisition ne leur impose l’apostasie. Humiliés par l’orgueil musulman, les Juifs se relèvent par l’intelligence : en leurs mains se trouvent presque tout le commerce des villes maritimes et la plupart des affaires financières du gouvernement. L’élite d’entre eux représente, à titre d’agens consulaires, les puissances européennes, et participe aux immunités de ces fonctions. Aux Juifs, la culture est interdite, ainsi que la possession d’immeubles en dehors du mellah, le ghetto des villes marocaines. Par un rare et curieux phénomène, qui s’observe aussi en quelques points de l’Algérie, on trouve dans les montagnes certaines tribus juives intimement mêlées aux Berbères, dont elles portent le costume, parlent la langue, partagent toutes les habitudes pastorales, agricoles, guerrières même. Une tradition très accréditée et très probable les rattache aux premières émigrations des enfans d’Israël qui, de la Palestine, se répandirent, bien avant l’ère chrétienne, dans l’Afrique du nord. Seules, ces tribus ont résisté à l’islamisme, sans que leur fidélité à leur foi les ait privées d’aucun des privilèges de leur antique établissement, et entre autres de l’estime générale, dont elles jouissent au même degré que les familles berbères.