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pareil scandale possible de nos jours : il existe pourtant au Maroc ; mais au caprice et au hasard n’est pas abandonné le soin de peupler le harem du monarque ; le calcul politique y préside. La faveur du maître est un moyen de gouvernement. Une famille puissante est-elle rebelle, l’empereur, s’il juge inopportun l’emploi des armes pour la soumettre, invoque l’hymen ; il demande au père une de ses filles en mariage, et appuie ses propositions de riches cadeaux. La rébellion, désarmée par la vanité et la cupidité, livre la fille du chef, qui va, docile et fière, orner les immenses gynécées de la cour. Quand elle a donné le jour à un fils du sultan, un divorce régulier la rend bientôt à ses pareils, à qui elle amène un petit chérif, un héritier du trône. Par ce trafic, le parti de l’empereur s’est grossi d’un noyau d’adhérens qui spéculent pour leur fortune sur la parenté impériale et la chance de porter un des leurs au commandement suprême. La même tactique, indéfiniment multipliée à l’égard de toutes les grandes familles, explique cette quantité étonnante d’épouses et de concubines, et la multitude de fils, de neveux, de cousins de souche impériale qui obscurcissent de leurs intrigues et de leurs luttes les annales du Maroc. Des pays entiers, comme le Tafilet, sont peuplés de rejetons dynastiques qui réclament comme un dernier privilège de leur rang le droit à l’oisiveté et à la mendicité. Et tel est au fond du cœur humain, en Afrique du moins, le respect instinctif pour toute grandeur, que ces princes fainéans réussissent à se faire nourrir par le peuple !

Les souverains du Maroc sont trop habiles pour négliger la force que donne l’argent, ce nerf de tout gouvernement barbare ou civilisé. Le Koran y a pourvu, au profit de tous les pouvoirs légitimes, au moyen de l’achour, la dîme des grains. Les sultans du Maroc y ajoutent d’autres ressources : les monopoles financiers, les capitations sur les Juifs, les taxes douanières, un droit par chaque tête de chameau des caravanes, une part sur les marchandises qu’elles rapportent de l’Afrique, et dont ils s’assurent une exacte connaissance en nommant les chefs ou khrebirs de caravanes. Outre ces sources à peu près régulières et avouables, la cupidité impériale spécule à son gré, suivant l’inspiration de chaque jour, sur les confiscations d’héritages, la spoliation des riches, les amendes arbitraires, les offrandes obligatoires à chaque fête de religion et de famille, l’altération des monnaies, les fraudes et la violence dans les achats et les ventes de marchandises. L’exaction prend bien souvent les formes hypocrites de l’ordre. Qu’un pacha soit dénoncé pour ses concussions, accusation trop souvent légitime ; le sultan l’oblige à rendre gorge en recourant, s’il le faut, aux plus affreux supplices. Il punit ainsi le crime, mais il a soin de s’approprier l’argent, qui s’entasse dans les sombres et mystérieuses caves, bien gardées par