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terreur tout le long de la frontière. N’est-il pas à craindre que l’avenir ne ressemble au passé jusqu’à l’adoption de mesures définitives et permanentes de sécurité ? L’établissement de postes nouveaux qui resserrent la ligne de défense entre sans doute dans les vues du gouvernement ; mais la rectification de la frontière, qui eût été portée jusqu’à la Moulouïa, limite naturelle et historique entre le Maroc et l’Algérie, était indiquée par le vœu public et l’opinion de la plupart des hommes de guerre. On y a renoncé pour cette fois. Si c’est par respect de la convention du 18 mars 1844, qui a tracé la ligne actuelle de séparation, on peut juger ce respect exagéré : l’empereur du Maroc n’est pas fondé à réclamer le maintien d’une frontière le long de laquelle il ne peut assurer l’ordre du côté de son propre territoire. Cette rectification eût peut-être fourni l’occasion de négocier avec l’Espagne la cession des îles Zafarines, situées à l’embouchure de la Moulouïa, îlots restés vacans jusqu’en 1847, où le général Cavaignac, qui avait reçu l’ordre d’en prendre possession, les trouva occupés depuis une quinzaine de jours par une garnison espagnole. À l’Espagne, qui n’a ni commerce ni intérêts politiques à la Moulouïa, ces îlots, où manquent la terre et l’eau, sont inutiles, tandis que l’excellent mouillage qu’ils forment par leur disposition, et que Suffren signalait il y a un siècle, les rend précieux pour la marine et pour le commerce de l’Algérie, dont les rivages s’étendent jusque dans le voisinage, à Nemours.

L’affaire des présides espagnoles est des plus simples. L’Espagne, successivement refoulée de toutes les positions maritimes qu’elle avait prises en Afrique dans le cours de ses grandes luttes contre l’islamisme, a conservé, sur le littoral de la Méditerranée, quatre places seulement, qui ont reçu le nom et la destination de presidios, prisons : lieux de captivité pour les condamnés ordinaires, lieux d’exil pour les condamnés politiques. Ce sont, en allant de l’est à l’ouest, Melilla, Alhucemas, Peñon de Vêlez et Ceuta, l’antique Abyla, l’une des colonnes d’Hercule. À vrai dire, ces postes ne lui ont jusqu’à présent rapporté ni profit ni honneur, et mieux eût valu pour elle ne pas les garder. Des prisons sont peu propres à exciter la sympathie naturelle qui s’attache à tout établissement européen en pays barbare, et elles ne donnent pas aux Maures eux-mêmes, dont elles entretiennent la haine patriotique, comme toute usurpation de territoire par les étrangers, une haute idée de la moralité et de la grandeur de la nation. Par une fatalité qui nuit à sa gloire, l’Espagne ne sema en Afrique, même aux plus beaux jours de sa puissance, aucun germe de colonisation ou de commerce. Elle sut bâtir des églises et construire de magnifiques fortifications ; elle ne sut point attirer à elle les tribus indigènes, pas même celles qui, sous le nom de maghzen, offrent toujours leurs services au plus fort. Animée d’un