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d’impôt et la crainte de concessions regrettables à l’Angleterre.

Pour les impôts, il faut bien s’y résoudre, en se consolant par l’espoir de faire payer les frais de l’expédition au trésor du sultan. Les dernières grandes guerres ont montré que le bon marché n’entre pour rien dans les inventions meurtrières qui émerveillent les contemporains. Des financiers élevés à l’école française auraient, il est vrai, préféré un emprunt. Qu’ils patientent, et ils verront venir le tour de l’emprunt, quand l’impôt aura rendu tout ce qu’il peut rendre. Il est bon, il est moral que les générations présentes ne se déchargent pas entièrement sur l’avenir du soin de payer leur gloire. Les concessions envers l’Angleterre reprochées au cabinet espagnol se rapportent à la correspondance qui a été échangée entre les ministres des affaires étrangères des deux états, M. Calderon Collantes et lord John Russell. Nous touchons par ce point à un nouvel aspect de la question marocaine : les prétentions et les droits de l’Angleterre.

Une seule voix, on le sait, a troublé le concert de félicitations qui, dans le monde, a accueilli la nouvelle des résolutions de l’Espagne : c’est la voix de la presse anglaise. Il doit pourtant suffire à la couronne britannique d’avoir conquis, il y a cent cinquante ans, un rocher escarpé que la nature avait donné à l’Espagne, et d’en avoir fait une place inexpugnable. Cette occupation, que consacra le traité d’Utrecht, a réparé avec avantage l’abandon de Tanger, que fit le rri Charles II en 1684, après l’avoir reçu, vingt ans auparavant, comme dot de son épouse Catherine, infante de Portugal. Du camp fortifié de Gibraltar, l’Angleterre s’est mieux insinuée dans le Maroc, au nom de l’amitié, que ne l’ont fait le Portugal et l’Espagne, toujours assaillis et détestés comme envahisseurs du sol sacré de l’islam. Ses consuls ont hérité des nôtres pour la prépondérance que Richelieu et Louis XIV avaient conquise à la cour de Fez, et qui fut abandonnée lorsque le régent, en sacrifiant en 1717 le consulat français de Salé aux convenances de George Ier, livra le Maroc pour un demi-siècle à l’influence exclusive de son alliée. C’est alors que le commerce anglais, profitant habilement des succès de sa diplomatie, triompha facilement de toute concurrence, et fit de Gibraltar un entrepôt de ses marchandises et un foyer de contrebande aussi bien que de trafic régulier. La garnison de la place tire même de Tanger et de Tétuan ses approvisionnemens de viande fraîche, de légumes, de fruits. Tant d’avantages avouables justifient la sollicitude particulière des Anglais pour tout ce qui se passe sur le territoire marocain, mais ne sauraient diminuer les droits des autres nations à venger leur honneur et à consolider leur position. Qu’ils veillent au maintien de leur influence politique, à la protection de leurs intérêts commerciaux, ils seront écoutés avec impartialité ;