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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/980

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est assurée du succès, si l’auteur a su éveiller en vous d’une manière factice la sympathie. La sympathie au théâtre obéit aux mêmes lois que dans la vie réelle ; pas plus que dans la vie réelle, nous n’avons besoin, pour qu’elle s’éveille, de beaux discours ou de remarquables caractères. Notez bien que je ne parle pas ici du spectateur illettré et ignorant, mais au contraire du spectateur lettré, du plus récalcitrant à l’émotion. S’il est franc, il vous avouera sans détour qu’il se contente fort bien au théâtre de qualités négatives, et qu’on a de grandes chances de l’émouvoir si on ne le choque pas. Qu’il lise cette même pièce le lendemain du jour où il l’a vue représenter, et il reprendra toute sa sévérité de juge. Il bâillera peut-être aux passages où il avait ri la veille, et s’étonnera des larmes qu’il a eu envie de verser. La pièce est médiocre, cependant il a contribué pour sa part au succès qu’elle a obtenu. Fiez-vous après cela aux succès dramatiques, et essayez de les expliquer par le mérite intrinsèque des œuvres qui les obtiennent !

En règle générale, et sans aucune exception, toute pièce qui ne peut pas supporter l’épreuve de la lecture est mauvaise ou médiocre. Appliquez cette règle au théâtre contemporain, et dites-moi ensuite combien de pièces modernes seront épargnées. J’ai voulu soumettre à cette épreuve quelques-unes des pièces récentes ; hélas ! tout le parfum s’est évaporé avec l’illusion dramatique, et il ne reste plus qu’un flacon vide. Le dialogue paraît terne, et n’a plus cet éclat qu’il empruntait à l’œil de l’acteur, ni ce mordant qu’il empruntait à sa voix. Le plan est faible, décousu, incohérent, les caractères ne se soutiennent pas. Allez voir à l’Odéon le Testament de César Girodot, et je vous promets une agréable et amusante soirée. Vous rirez de bon cœur, car il y a de la gaieté dans cette pièce, et une gaieté de bon goût, sans amertume ni cynisme, une gaieté à laquelle il est doux de s’abandonner. Le dialogue vous en paraîtra vif, et si vous exprimez vos impressions au sortir du théâtre, il n’est pas impossible que vous écriviez que les deux jeunes auteurs ont frisé de près la bonne comédie. Vous lisez cette pièce le lendemain ; tout le prestige créé par la représentation s’est évanoui : vous n’avez plus qu’un essai dramatique recommandable beaucoup plus qu’ingénieux, qui révèle chez les auteurs l’étude des grands modèles et des dispositions heureuses pour le théâtre. Vous vous apercevez que vous avez éprouvé l’illusion de la gaieté, et vous avez peine à comprendre vos rires. L’insuffisance de la donnée et la faiblesse de l’action que vous aviez pardonnées à la représentation vous apparaissent ; vous n’avez plus sous les yeux qu’une succession de scènes reliées les unes aux autres comme les grains d’un chapelet par le fil le plus mince et le plus fragile ; un amour de deux jeunes premiers. De ces pièces récentes,