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autre mérite aussi peu commun en Angleterre, c’est une curiosité sympathique des idées, des aspirations et des littératures du continent, et notamment de la France. Peu d’Anglais connaissent la France aussi bien, et ont pour elle autant de goût. Comme tous les esprits élevés, qui veulent accroître la civilisation de leur patrie en la comparant à des civilisations différentes, il dédaigne de flatter son pays, et ne craint point de lui signaler les qualités de ses rivaux, qu’il voudrait lui voir acquérir. S’il a encouru un reproche parmi ses compatriotes, c’est d’être le censeur un peu morose de l’Angleterre et le panégyriste un peu complaisant de la France. Les qualités de M. Mill et ces penchans que nous venons d’indiquer donnent un puissant intérêt et une autorité particulière à un écrit remarquable qu’il vient de publier, dans le Fraser’s Magazine, sur la politique étrangère de l’Angleterre, sous ce titre : « Quelques mots sur le principe de non-intervention, » a few Words on no-intervention.

M. John Stuart Mill, qui n’est point, nous le répétons, un adulateur de son pays, s’étonne de la méprise profonde que commettent les écrivains du continent dans leurs jugemens sur l’Angleterre. « Il y a un pays en Europe, dit-il avec une éloquente sincérité, égal aux plus grands par l’étendue de ses possessions, et qui les dépasse tous en richesse comme par la force que la richesse procure, dont le principe déclaré en matière de politique étrangère est de laisser à eux-mêmes les autres peuples. Aucun pays ne redoute ou n’affecte de craindre de sa part des projets d’agression. Les puissans, de tout temps, ont eu l’habitude d’usurper sur les faibles et de lutter pour la domination avec ceux qui sont aussi forts qu’eux. Il n’en est point ainsi de cette nation. Elle veut garder ce qui lui appartient, elle ne se soumettra à aucune usurpation ; mais, pourvu que les autres nations ne se mêlent pas de ses affaires, elle ne veut pas se mêler des leurs. L’influence qu’elle peut exercer sur elles par la persuasion, elle l’emploie plutôt au service des autres qu’à son profit : elle est médiatrice dans les querelles qui éclatent entre les états étrangers, elle s’efforce de mettre un terme aux guerres civiles obstinées, elle réclame la clémence en faveur des vaincus, ou enfin elle obtient la cessation de quelque crime national ou de quelque scandale pour l’humanité, tel que la traite, des esclaves. Non-seulement cette nation ne cherche pour elle aucun bénéfice aux dépens des autres, elle ne poursuit aucun avantage sans admettre les autres à le partager. Elle ne fait point de traités qui stipulent pour elle des profits commerciaux exclusifs. Si les agressions de peuples barbares la contraignent à faire une guerre heureuse, et si ses victoires lui permettent d’imposer la liberté du commerce, tout ce qu’elle demande pour elle, elle le demande pour le genre humain. Les frais de la guerre sont pour elle ; les fruits en sont fraternellement partagés avec l’humanité tout entière. Ses ports et son commerce sont libres comme l’air et le ciel. Tous ses voisins y peuvent entrer sans payer de droits, et elle ne s’inquiète pas si, de leur côté, ils gardent tout pour eux, et persistent à se fermer avec la plus étroite jalousie à ses négocians et à ses marchandises. — Une nation qui adopte une telle politique est une nouveauté dans le monde ; c’est si bien une nouveauté que la plupart n’en peuvent croire leurs yeux. Par un de ces faits paradoxaux que nous rencontrons souvent dans les affaires humaines, voilà pourtant la nation qui est,