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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/13

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titre provisoire. Ses adversaires se vantaient de posséder la pensée intime du chef suprême et faisaient croire à des confidences par la vivacité de leur reconnaissance et de leurs hommages. L’état que j’avais sous les yeux n’était donc pas tout à fait la liberté malgré l’apparence à laquelle je m’étais d’abord laissé prendre, c’était plus et c’était moins : c’était un mouvement d’innovation radical qui partait du pouvoir supérieur, et pouvait, s’il durait trop longtemps sans aboutir, dégénérer en anarchie.

Quelles causes avaient amené une situation si irrégulière ? En quoi avait démérité l’administration ainsi ostensiblement désavouée par son supérieur naturel ? Qui avait raison ici, de l’accusateur ou de l’accusé ? La lutte engagée sous nos yeux était-elle la vieille lutte de la routine et du progrès, ou la lutte non moins ancienne de la sage expérience contre l’esprit d’aventure ? Il m’eût été difficile de ne pas me poser toutes ces questions : tous les échos les renvoyaient à mes oreilles, et dans les cafés comme dans les corps de garde on ne parlait guère d’autre chose ; mais il n’était pas beaucoup plus aisé pour un novice de les résoudre, car les opinions les plus contraires se disputaient le terrain à l’aide des assertions les plus contradictoires. Les lecteurs de la Revue ont déjà été mis au courant du côté le plus délicat et le plus complexe de ces problèmes par un écrivain distingué qui n’a peut-être qu’un tort, celui de connaître trop bien dans le détail les affaires de l’Algérie pour se donner la peine d’en expliquer suffisamment les généralités aux ignorans d’outremer. Après ce jugement d’un homme compétent, mais qui par cela même a son opinion depuis longtemps faite, le coup d’œil plus superficiel, mais plus libre peut-être, d’un spectateur curieux, venu sans prévention, et ne s’étant donné d’autre peine que d’ouvrir ses yeux et ses oreilles, peut aussi avoir son utilité. Il s’agit d’ailleurs d’intérêts graves où la France a engagé à longue échéance une bonne partie de sa puissance, de sa richesse et de sa gloire : on ne saurait les envisager à trop de reprises et sous trop de faces. Ces intérêts se plaignent volontiers d’être oubliés et méconnus ; on ne saurait faire trop souvent en leur nom appel à l’attention publique. Que la patience du lecteur nous permette donc de revenir sur des points qu’il connaît peut-être, et même de le reprendre d’un peu haut. Je parle spécialement à ceux qui, comme moi naguère, ont toute leur éducation à faire et sont obligés de tout apprendre pour comprendre quelque chose. Je leur promets pourtant de ne remonter que jusqu’au déluge, et de les ramener très promptement.