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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/145

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cents gabiers armés de revolvers, et les troupes du général Wimpfen devaient enlever les forts à mesure qu’ils eussent été éteints et démantelés. Les fonds de 10 mètres ne commençant qu’à plus d’un mille marin du rivage[1], les vaisseaux et les grandes frégates étaient forcés de se tenir à cette distance de la place ; ils devaient donc tirer à toute volée, puisqu’ils avaient peu de canons rayés, et ne servaient en quelque sorte que comme moyen de puissante diversion.

Cependant l’escadre s’avançait vers Venise. Une noble émulation régnait parmi ces douze mille marins, car ils avaient l’armée à égaler, et leur victoire ne devait-elle pas rendre la liberté à tout un peuple ?


II

Vers le milieu du mois de mai 1859, une dépêche du ministre de la marine ordonnait d’embarquer sur deux transports de l’état les cinq chaloupes canonnières démontées qui se trouvaient dans l’arsenal de Toulon. Le contre-amiral Dupouy, un capitaine de frégate chef d’état-major, cinq officiers de marine, un commissaire de division, un chirurgien, un ingénieur, quatre-vingt-quinze matelots et cent cinquante ouvriers de différens métiers, tel était le personnel d’une expédition dont la première étape était Gênes, mais dont le but restait ignoré.

Pour peu qu’on ait étudié le caractère des marins, si accessibles aux émotions généreuses, on comprendra facilement l’effet que produisit dans le port de Toulon l’annonce officielle d’une campagne dont on parlait depuis longtemps sans trop y croire et sans en comprendre la portée. Pas un ne voulait perdre une si belle occasion de combattre à côté de l’armée de terre, car dans cette guerre, qui commençait à peine, presque tous craignaient d’être employés à un long blocus dans l’Adriatique ou à des transports continuels de troupes entre Toulon et Gênes. La pensée de tous se détournait de Venise : la marine autrichienne s’était déjà réfugiée dans ses ports-les petites chaloupes semblaient donc en ce moment être les seuls bâtimens qui dussent aller au feu. Aussi, sans distinction de grade, chacun souhaitait-il ardemment d’être appelé à l’honneur de les commander.

— Mais que pouvez-vous faire ? demandait-on aux officiers désignés par l’amiral pour l’accompagner. — Vos navires sont trop petits, disait l’un ; — trop grands, disait l’autre. — Annibal a passé les

  1. Le mille marin est de 1,854 mètres.