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On se trouva, dès le jour de l’arrivée à Gênes, à la fin de mai, en présence d’un travail considérable causé autant par les difficultés inhérentes au déchargement d’un tel matériel que par l’exiguïté de l’arsenal de guerre de la marine sarde. Il fallut toute l’adresse et l’intelligence que les marins français déploient dans ce qu’on est convenu d’appeler « travaux de force » pour extraire des flancs des deux transports des poids aussi énormes que ceux des canons, des masques et des chaudières. On était obligé de poser tous ces objets à terre, sur le quai, pour les traîner à la main, sur une pente des plus raides, jusque sous une grue qui les montait lentement sur des wagons.

À ce moment, tous les transports de l’armée se faisaient par les chemins de fer, dont le matériel était peu considérable. L’artillerie, l’intendance, le génie et la marine s’arrachaient littéralement les wagons. Dans un excès de zèle bien excusable, chacun voulait faire passer son service avant celui des autres. On se demandait encore de quel droit la flottille, avec sa mission inconnue, son utilité alors discutable, prenait à elle seule autant de voitures. À Gênes en effet, rien ne transpirait encore sur le but de l’expédition. Bien des gens, en voyant une telle accumulation de matériel de forme inconnue, ne pouvaient concevoir ce que des bâtimens de guerre pouvaient venir faire ainsi en pleine terre. L’ordre vint bientôt d’échelonner les cinq canonnières dans le nord du Piémont. On désencombrait ainsi l’arsenal, et on facilitait l’envoi simultané de la flottille vers un point qui devait être désigné plus tard. La canonnière n° 9 fut envoyée à Alexandrie, le n° 10 à Casale, le n° 7 à Vercelli. Les chaloupes 6 et 8 restèrent à Gênes. Les wagons furent déchargés dans les gares, et on attendit.

L’attente dura trois semaines ; elle parut longue à ces matelots, qui croyaient que le jour de leur débarquement en Italie serait pour eux, comme pour l’armée, un jour de marche vers l’ennemi. À chaque instant, dans les gares se croisaient des convois immenses de troupes, avec des trains remplis de prisonniers. Nos soldats, pleins de gaieté et d’entrain, disaient cordialement bonjour à leurs ennemis de la veille ; ils aidaient les blessés à descendre. Tout ce monde attendait parfois deux ou trois heures que la voie unique des chemins de fer piémontais fût dégagée. Quelques fantassins montaient alors sur le sommet d’un wagon, et avec leurs bidons et leurs gamelles en fer-blanc à défaut d’orchestre commençaient une de ces parades interminables dans lesquelles nos troupiers excellent ; mais un coup de sifflet aigu rappelait bien vite les rieurs à la vie réelle, et tous alors de courir après le train déjà en route. Par les chaleurs accablantes qu’il faisait alors en Italie, ils se gardaient