Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/152

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

magnifique lac de Garde, une joie immense inonda le cœur de tous ces braves gens. Ce fut comme après une longue et pénible traversée, quand le cri de terre se fait entendre. Encore une fois les misères, les longues nuits pluvieuses sous la tente et dans les gares, les interminables journées de labeur sous un soleil de plomb, tout fut oublié. Ils étaient arrivés ; le champ de bataille était devant eux, et dans le lointain ils voyaient Peschiera, c’est-à-dire la victoire ! Le lac de Garde se trouve au fond d’un vaste entonnoir : la gare de Desenzano est, bien entendu, située sur les hauteurs. Une route d’un kilomètre de long, espèce de montagne russe, la séparait des chantiers, que l’amiral avait fait préparer et sonder avec soin. Il fit également construire sur cette pente inquiétante un chemin de fer, pour descendre, jusqu’à l’entrée de la ville et à grands renforts de précautions, les wagons portant les poids les plus lourds. Au bout de cette voie provisoire se trouvait une grue qui posait à terre ces chaudières de 7,000 kilogrammes, et les hommes s’y attelèrent pour la dixième fois. Les pièces légères ou à peu près se déchargeaient à la gare, sur des chars ou sur le dos des équipages, et venaient se grouper en ordre auprès des quilles déjà placées. Desenzano se trouvait comme par enchantement changé en port de mer. Les habitans regardaient curieusement ces hommes venus de si loin, dont les allures, la gaieté constante et les mœurs leur étaient complètement inconnues. Ils se sentaient rassurés, et leurs barques de pêche couvraient déjà le lac. S’ils refusèrent à joindre leurs efforts aux travaux des marins malgré les offres les plus gracieuses, c’est certes moins par manque de patriotisme que par l’effet d’une habitude bien invétérée chez tous les paysans de ne jamais travailler sans une honnête rétribution.

On se mit de tout cœur à la construction : les canons de Peschiera, qu’on entendait sans cesse, et la vue des bateaux à vapeur autrichiens, qui allaient et venaient de Riva à la ville assiégée, donnaient à tous les travailleurs un entrain et un stimulant inconnus dans nos arsenaux. Une batterie d’artillerie française à Desenzano, une batterie piémontaise à la pointe de la presqu’île de Sermione rendaient toute inspection des chantiers un peu trop dangereuse pour l’ennemi, qui ne tenta du reste aucun coup de main. C’eût été facile cependant avec des fusées incendiaires et des hommes résolus qu’un de leurs vapeurs eût pu jeter sur la plage ; mais déjà Garibaldi, à Salo, avait coulé l’un de ces bâtimens à coups de canon, et les défenseurs de Peschiera ne voulurent sans doute pas s’exposer de nouveau à perdre ainsi leur seul moyen de communication avec l’empire.

Bien des officiers de toutes les armes, en voyant cette construction