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prendre et ne pas plaindre la perplexité dans laquelle nous sommes placés ? Nous courons le danger, — et ici l’on nous passera l’outrecuidance de parler au nom de la diplomatie européenne, au nom des intérêts financiers et industriels, au nom des populations italiennes, au nom, Dieu nous pardonne ! du pape lui-même, — nous courons le danger, ou de méconnaître et de travestir la vraie politique du gouvernement, ou d’être dupes d’une mystification colossale. Le danger est grave, qu’on veuille bien le remarquer, car l’ambiguïté et l’incertitude ne profitent qu’à ceux qui se croient favorisés par la brochure ; ceux-là sont intéressés à croire, et s’exaltent dans la foi que l’écrit anonyme encourage. Cette même ambiguïté désarme au contraire ceux dont la brochure attaque les intérêts et les opinions ; ceux-là sont officiellement obligés de ne pas croire à l’autorité de ce manifeste. Au fond, ce procédé devrait être écarté, repoussé par tout le monde, car il peut être retourné contre ceux qu’il sert passagèrement en apparence. Il compromet la dignité des gouvernemens, il blesse la sincérité des opinions, il ébranle la sûreté des relations. Nous répudions, quant à nous, pour les causes que nous aimons, l’avantagé de tels moyens. Nous ne voudrions pas l’emporter sur nos adversaires par surprise. Nous croyons devoir la franchise à nos ennemis. Aussi, malgré les profonds dissentimens qui nous séparent de M. l’évêque d’Orléans, nous ne pouvons nous empêcher d’applaudir à ce cri de conscience virile par lequel il demande à l’auteur de la brochure de rompre l’anonyme. « Il faut un visage ici ; il faut des yeux dont on puisse connaître le regard, un homme enfin qui réponde de ses paroles. »

La brochure simplifiera-t-elle les difficultés de l’Italie ? Malgré les objections que nous opposons à la forme de cet écrit, nous le souhaiterions sincèrement ; mais nous n’osons l’espérer. La brochure suppose en effet que la question de la Romagne pourra être résolue par l’autorité du congrès, et d’un autre côté elle passe sous silence la solution pratique et finale réclamée par l’Italie centrale, l’annexion au Piémont. Examinons à ces deux points de vue les perspectives des questions italiennes.

L’on dit déjà, et c’est un des premiers effets de la publication anonyme, que la convocation du congrès est encore retardée. Cela ne nous étonne point. Il serait naturel que l’éclat de cette brochure eût porté quelques gouvernemens à considérer une négociation préparatoire comme un préliminaire obligé de la réunion du congrès. Il importe beaucoup à des puissances qui se réunissent en congrès d’être assurées d’avance de leur accord : autrement les délibérations mêmes du congrès pourraient donner lieu à des scissions et à des luttes d’influences, à des traités particuliers, à la formation d’alliances séparées, et se terminer par des conflits. Cet intérêt est plus évident encore dans les circonstances où le prochain congrès est appelé à se réunir. Ces circonstances sont loin de ressembler à celles où se trouvait en 1815 le congrès de Vienne, dont là brochure invoque les précédens avec trop peu de discernement. Le congrès de Vienne était la liquidation d’une guerre de vingt ans, dans laquelle toutes les parties de l’Europe, de Moscou à Cadix avaient été successivement ou simultanément engagées. Tous les états continentaux avaient été remaniés ou transformés pendant cette période, et la ruine de Napoléon laissait une masse énorme de terri-