Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/274

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

té de régions, profondément distinctes les unes des autres par l’éclat et la couleur de la lumière. Le ciel d’Athènes est pur, élégant et fin comme les chefs-d’œuvre de l’éloquence ou de la poésie athénienne. Le ciel de Constantinople est riche, éblouissant, somptueux ; il a gardé la magnificence perdue dans les états qu’il éclaire. Le ciel de la Bulgarie est un ciel sauvage, lourd et grossier, en harmonie avec les conducteurs d’arabas et leurs pesans attelages.

Le jour de notre débarquement à Varna, il y avait dans l’air une écrasante et malsaine chaleur, signe précurseur du fléau qui allait bientôt nous atteindre. Varna ressemble du reste à la plupart des villes turques. Des rues mal pavées, bordées de maisons en bois ; çà et là quelques cafés où des Turcs aux cheveux longs, aux fez écourtés, aux redingotes mai faites, aux pantalons de nuances bizarres et de propreté douteuse, se livrent, autour d’un narghilé, à une rêverie orientale plus morne que le spleen britannique ; puis des bazars avec un pêle-mêle d’objets où l’on trouve bien rarement soit une forme, soit une couleur attrayante : voilà Varna. De plus, cette cité délabrée a l’air rébarbatif des places fortes. De nombreux combats se sont livrés sous ses murs, qui connaissent les boulets russes. On peut apercevoir de ses remparts la hauteur où l’empereur Nicolas a placé sa tente à une époque où il poursuivait déjà les rêves si cruellement effarouchés par notre canon.

Le maréchal Saint-Arnaud s’établit à Varna dans une petite maison située au détour d’une rue tortueuse, mais voisine de la mer. Ce triste asile allait devenir le témoin de ses luttes héroïques contre la douleur. Quant à moi, je traversai la ville à cheval avec mes spahis, et j’allai installer mon bivouac aux portes mêmes de la cité, sur une sorte de promenade publique, en face d’un grand bâtiment transformé déjà en hôpital, et que le choléra allait se charger de remplir. La route qui longeait mon bivouac était traversée par des gens de toute nature. Je retrouvai les bachi-bozoucks, dont la réunion s’était opérée sous les murs de Varna. Ces cosaques du grand-seigneur passaient en longue file devant nos tentes, montés sur leurs petits chevaux et portant des arsenaux à leur ceinture. Les bachi-bozoucks étaient les fantaisies vivantes de Callot ; on pouvait les prendre pour des diables, pour des bohèmes, pour toute sorte de créatures, excepté pour des chrétiens, ce que du reste ils n’avaient point la prétention d’être.

Une troupe dont l’aspect me causa quelque plaisir militaire, ce fut un bataillon turc qui revenait de Silistrie. Ce bataillon avait comme une lointaine ressemblance avec les hommes intrépides qui coururent à nos frontières le jour où de ses entrailles déchirées la