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choir sur leurs têtes, et ces soldats nouveaux créés par nos guerres africaines, élèves hardis, patiens, ingénieux, de l’aventure, de la fatigue et de la misère, ils ne les connaissaient pas encore.

Si la confiance régnait sur les hauteurs, on peut dire qu’elle régnait encore plus dans la plaine ; elle y régnait en compagnie de cette gaieté militaire, constant objet pour notre patrie d’un attendrissement et d’un orgueil maternels. Je me rappelle encore en quels termes un aide-de-camp du maréchal Saint-Arnaud, devenu à la fin de cette guerre un vaillant conducteur de troupes, prédisait, près d’un feu de bivouac, la journée du lendemain. Après avoir erré dans le camp pendant quelques heures d’une belle soirée, jouissant de tout ce qui m’entourait, de ce que j’entendais sur toutes les bouches, de ce que je voyais sur tous les visages, j’ose le dire, de ce que je sentais au fond de moi-même, je me retirai sous ma tente. Nous étions sûrs de ne pas avoir d’alertes nocturnes ; l’action qui se préparait était trop importante, trop décisive, pour laisser à ceux qui allaient y prendre part le loisir de se livrer à des escarmouches. Je pus donc m’étendre sur un lit de cantine pour goûter, non point ce sommeil héroïque des César et des Turenne, auquel je n’avais point le droit de prétendre, mais l’honnête sommeil de La Tulipe ou de La Ramée, c’est-à-dire du soldat obscur, qui ne joue que sa vie dans les grandes luttes où les glorieux jouent leur gloire, et qui, une fois fortifié du côté de Dieu par un bout de prière, s’établit dans une tranquillité bien facile du côté des hommes.

Le matin, quand sonna le réveil, le jour n’avait pas encore paru. La troupe prit promptement les armes ; les premiers rayons du soleil qui devait éclairer une de nos plus heureuses et de nos plus rapides actions trouvèrent l’armée tout entière debout et prête à marcher. Le maréchal Saint-Arnaud voulait donner au premier combat qui allait renouer la chaîne interrompue de nos victoires ce caractère d’entrain chevaleresque qui était un de ses plus vifs attraits. Tous les drapeaux étaient déployés, et toutes les musiques faisaient entendre ces accens aux étranges et puissantes ivresses qu’un héros de Shakspeare, le Maure de Venise, aux heures d’une douleur suprême, met parmi les enchantemens de ce monde qu’on abandonne avec le plus de regret. Bien des bruits et bien des silences me séparent aujourd’hui de ces sons, j’ai depuis entendu d’autres fanfares annoncer d’autres batailles ; mais la musique de Talma est restée dans mon esprit avec une force singulière : je l’entends résonner, ardente, joyeuse et fière, dans ces abîmes de notre mémoire où s’agite l’amas des choses évanouies.

Depuis sa première jusqu’à sa dernière heure, la bataille de l’Alma, pour me servir d’une expression chère à un grand écrivain