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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/307

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a accompli et mené à fin la condition essentielle, l’opération sine quâ non de tout établissement en Afrique, la conquête entière du territoire. Généralement, à dire le vrai, c’est un mérite que ses adversaires et ses successeurs ne lui contestent pas. Un peu sobres, un peu froids dans leur remerciement, enclins à rabaisser la valeur du service pour diminuer le fardeau de la reconnaissance, ils confessent pourtant très volontiers que, pour ce qui tient uniquement à la conquête, l’ancienne administration n’a rien laissé à désirer ni à faire. C’est même de la plénitude de ce succès qu’ils s’emparent pour établir que l’ancien système, principalement destiné à faciliter la conquête, a fait son temps avec elle, et que de nouvelles nécessités appellent aujourd’hui de nouvelles institutions.

Sans entrer prématurément dans ce débat, on ne peut nier en effet que plus le succès est complet, et plus il met en évidence une vérité que tout le monde soupçonnait dès l’origine, à savoir que la conquête de l’Algérie à elle seule ne peut être le but final de notre établissement en Afrique, et que si on s’en tenait là et si on ne faisait suivre la conquête de quelques opérations plus fructueuses, elle serait pour la France une ruineuse affaire et un détestable calcul. Nous avons sous les yeux, grâce à ce triomphe d’une rapidité inespérée, les résultats de la conquête aussi complets qu’on pourra jamais les obtenir : elle ne fera pas plus qu’elle n’a fait, et ne nous donnera pas plus qu’elle ne nous donne. Nous en pouvons donc dresser par passif et par actif l’incontestable bilan, et il ressort avec une irrésistible éloquence des chiffres mêmes que nous invoquions tout à l’heure comme les symptômes éclatans de l’affermissement de notre pouvoir.

Nous avons enregistré par exemple avec plaisir les états que M. le colonel Ribourt nous fournit sur l’accroissement progressif des contributions payées par les Arabes ; mais, envisagé à un autre point de vue, il faut convenir que le tableau est moins satisfaisant. Qu’est-ce en effet qu’un état de recettes, si l’on ne met en regard l’état de dépenses ? Or, si les populations arabes nous donnent aujourd’hui de 15 à 18 millions, nous ne pouvons oublier que le budget total de la colonie prévoit annuellement 75 millions de dépenses, dont 50 au plus bas mot sont indispensables pour tenir ces contribuables dans l’état de soumission qui seul nous permet le droit de faire payer tribut. La balance est aisée à faire : on voit que le déficit n’est pas près d’être comblé.

Même observation pour les forces militaires que nous pouvons tirer d’Algérie. Les bataillons indigènes, si connus maintenant sous le nom de turcos, ont figuré avec honneur sur nos champs de bataille, et la terreur qu’ils répandent, l’étrangeté de leur costume, comptent