Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/319

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les accusations d’abus de pouvoir et de tyrannie sont parfaitement ridicules là où le pouvoir ne peut rien rapporter que des soucis. En interdisant aux Européens le droit d’acquérir l’administration a eu pour but principal de les empêcher soit de s’aventurer dans les retraites encore mal gardées de l’intérieur, soit de contracter à la légère avec des gens qui ne savent jamais bien ce qu’ils possèdent, et mettent d’autant moins de soin à l’apprendre qu’ils ne font aucune difficulté d’aliéner ce qui ne leur appartient pas. Ce sont des imprudences suivies d’inévitables malheurs, et des fraudes, sources d’interminables procès, qu’elle a voulu prévenir. En concédant son terrain avec des charges et des clauses résolutoires, elle a voulu assurer à l’Algérie des cultivateurs sérieux, réellement disposés à dépenser sur le sol leur argent et leur peine. Elle s’est proposé d’éloigner ces spéculateurs, fléaux des colonies naissantes, qui achètent à bas prix d’immenses étendues de terres sans aucune intention de les mettre en culture, mais avec le dessein de profiter, pour les revendre à prime, des progrès futurs du pays, auxquels ils se dispensent de contribuer, ou de l’engouement des nouveau-venus. Je ne conteste aucune de ces intentions paternelles, je ne les trouve même que trop bonnes et trop généreuses. J’accorde de plus la réalité des inconvéniens dont l’administration s’est si préoccupée, et je conviens qu’il n’est pas permis à un critique, et qu’il le serait encore moins à un réformateur, de renoncer à ces mesures préventives sans avoir songé à quelque moyen de les remplacer ; mais il n’est besoin ni d’accuser aucune intention, ni de méconnaître aucune éventualité fâcheuse, il suffit de l’exposé des faits pour se convaincre que tous ces remèdes sommaires n’ont rien empêché, et qu’ils sont, à bien des titres, plus fâcheux que les maux eux-mêmes.

Le premier inconvénient qu’ils présentent, et le plus grave à nos yeux, c’est de rendre en droit, sinon en fait, l’administration responsable de tout ce qui se passe, ou plutôt de tout ce qui ne se passe pas, d’un bout de la régence à l’autre. Du moment que l’administration s’est arrangée pour qu’il n’y eût en Algérie d’autres colons que ceux qu’elle a laissés s’y établir, c’est elle naturellement, et même jusqu’à un certain point légitimement, qu’on accuse, s’il n’y en pas davantage. Et parmi les colons eux-mêmes, quand chacun d’eux n’a d’autres terres que celles que l’administration lui a assignées, et ne peut y faire d’autres travaux que ceux que l’administration lui a prescrits, c’est elle encore naturellement, et jusqu’à un certain point légitimement, qu’il accuse, si la terre n’est point aussi fertile ou ses travaux aussi profitables qu’il l’espérait. Ainsi s’engendre ou plutôt s’enracine dans les esprits de tous les habitans de la France nouvelle une disposition à laquelle l’ancienne France malheureusement ne les