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Dès lors il lui importait de s’assurer si ses ennemis ne cherchaient point à lui échapper en arborant un pavillon ami. D’ailleurs, ajouta-t-il en élevant la voix, je ne reconnais pour amies que les nations qui ont des agens à Alger (il voulait parler des nations qui, sous forme de présens, consentaient à lui payer tribut). Toutes les autres, je les tiens pour ennemies, et les traiterai comme telles tant qu’elles n’auront pas envoyé faire leur paix avec cette régence. » L’insolence de ce barbare me parut insupportable. Bien que son ton eût été jusque-là fort modéré et que j’eusse remarqué dans ses manières un certain fonds d’obligeance, je jugeai que nous ne parviendrions pas à triompher de son obstination. J’interrogeai l’amiral Freemantle du regard, et nous nous levâmes pour nous retirer ; mais avant de partir, je déclarai une dernière fois au dey que « si c’était réellement son intention de continuer à exercer la piraterie contre le commerce européen, il devait s’attendre à voir fondre un jour ou l’autre sur lui le courroux des puissances qu’il aurait provoquées. » Ces paroles étaient prophétiques ; je me les suis rappelées le jour où notre drapeau flotta sur la plage de Sidi-Ferruch. Qui sait si le dey, vaincu, obligé de se confier à notre clémence, ne se souvint pas aussi des menaces que dix ans plus tôt un amiral français lui avait laissées pour adieux ?

À Tunis, où nous arrivâmes le 28 septembre 1819, nous trouvâmes des dispositions plus conciliantes, mais non plus de sincérité. Mahmoud-Pacha, maître du trône de « Tunis la bien gardée, » consentit à répondre à notre notification par un document que j’ai conservé, et dont je crois devoir reproduire ici la traduction fidèle :


« Qu’on nomme voleur et pirate celui qui s’empare de bâtimens ou de marchandises sans motifs, qu’y a-t-il de plus juste ? Quant à nous, grâces en soient rendues à Dieu, on n’a jamais ouï dire que nous ayons jamais rien commis de pareil. Est-il donc convenable que nous recevions une semblable intimation de votre part, quand il est avéré que, dans un temps qui n’est pas encore bien éloigné, on a manqué aux traités d’amitié qu’on avait contractés envers nous ? On est venu prendre dans nos ports des bâtimens ennemis que notre pavillon aurait dû protéger[1] ; ces bâtimens, nous en avons payé la valeur aux propriétaires. Plus tard, nous en avons demandé la restitution à ceux qui s’en étaient injustement emparés ; nous a-t-on seulement répondu ? Vous nous dites que toutes les puissances de l’Europe sont convenues de nous obliger à cesser nos armemens. Si nous n’y consentons pas, ces puissances se ligueront contre nous. Que nous nous repentions alors, et il sera trop tard. Sans doute en ce moment nous n’avons point d’ennemis à combattre : nous n’avons donc nulle intention de mettre en

  1. Ceci était particulièrement à l’adresse de l’amiral Freemantle. Les Anglais avaient en effet enlevé, pendant la dernière guerre, des corsaires français et leurs prises sous les canons du fort de La Goulette.