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I.

Un des esprits les plus exercés de notre temps aux méditations philosophiques, un penseur plein d’élévation et de vigueur, M. Vacherot, a fait de ce problème le sujet d’un ouvrage remarquable à plus d’un titre. L’aisance, la clarté, la finesse de la discussion font du livre de M. Vacherot un véritable événement dans l’histoire de la philosophie contemporaine. Nous n’étions pas habitués depuis longtemps à cette allure franche et vive, à ce dévouement sans bornes à la vérité, qui ne recule devant aucun doute, à cette bonne foi profonde, si différente de la bonne foi superficielle, laquelle suffit pour faire l’honnête homme, mais ne suffit pas pour faire le philosophe. L’admission de M. Vacherot dans la grande famille des penseurs ne date pas, du reste, de l’ouvrage dont nous parlons. On se rappelle que par le troisième volume de sa belle Histoire de l’école d’Alexandrie il se sépara nettement de l’enseignement officiel ; on se rappelle aussi avec quel courage il accepta les conséquences de cette séparation. M. Vacherot, quand il publia son écrit principal, était directeur des études à l’École normale. En Allemagne, des directeurs de séminaires, des professeurs, des pasteurs ont professé cent fois des doctrines aussi libres que celles que renfermait le volume en question ; jamais, si ce n’est pendant la réaction heureusement close des dernières années, on n’a songé à les destituer pour cela. L’idée n’est point venue hors de France qu’un professeur qui enseigne est l’état enseignant, que sa doctrine doit être considérée comme celle de l’état, et que par une suite nécessaire l’état a le droit de la lui dicter. La conséquence évidente d’un tel système, c’est que l’état, c’est-à-dire dans le cas dont il s’agit le ministre de l’instruction publique, ait une philosophie, une science. Il est inadmissible en effet que le professeur prête à l’état sa philosophie, et si l’état est responsable de tout ce qui se dit dans les chaires, l’ordre administratif ne sera parfait que le jour où les bureaux enseigneront, c’est-à-dire enverront aux professeurs des cahiers tout faits qu’ils devront débiter. Nos enfans verront sans doute ce beau jour. En attendant, on entrevoit sans peine comment une pareille tentative d’administrer la philosophie est la destruction de toute liberté, et aussi comment elle condamne l’enseignement philosophique à la médiocrité, la médiocrité seule étant capable d’accepter de telles conditions et de les exécuter sans faiblir. M. Vacherot subit le contre-coup de cette fausse idée, qui pèsera d’une manière si grave sur les destinées de notre pays. Il échangea le droit d’enseigner d’inoffensives banalités contre le droit de penser ; il acheta par le sacrifice de ses fonctions le