garrigs[1], couvrent la lande inculte de leur végétation parfumée. De petites sources murmurent au fond de grottes mystérieuses. Dans ces solitudes privilégiées qui ne connaissent point l’hiver, tout exhale des senteurs balsamiques, jusqu’aux cailloux, qui reçoivent tour à tour les morsures de la tramontane (vent du nord), les rayons du soleil, le sel de la mer et la poussière fécondante des plantes aromatiques. Les plantes participent de la vie robuste du pays ; elles croissent, sans connaître la protection de l’ombre ni la fraîcheur de la rosée, tantôt sur les flancs d’une colline ravinée, tantôt le long d’une lande pierreuse. Il est telles de ces fleurs qui, semblables à des plumes légères, s’envolent à la moindre brise et disséminent partout leurs germes fécondans ; on en voit qui, revêtues d’écaillés, entre-choquent leurs grappes brillantes et sonores comme des castagnettes lilliputiennes. Celles-là ressemblent à de petits balais, celles-ci ont la forme de nids d’oiseaux, et servent de refuge pendant la nuit à tout un peuple microscopique. Les vents impétueux du printemps, les cavaliers, si redoutés dans les plaines cultivées, si funestes aux oliviers, aux vignes, aux épis, sont au contraire bienfaisans pour ces plantes agrestes ; les cistes et le fenouil se retrempent dans les mêmes souffles implacables que le laboureur et le vigneron maudissent comme un fléau. Tel est l’aspect des garrigues de la Gardiole, tels sont aussi quelques-uns des charmans détails qu’on y découvre quand on ne se borne pas à les traverser, quand on a le courage de s’y arrêter plus d’un jour.
Bûcherons de ces coteaux pelés, les garrigaires sont les pauvres de la contrée. Ils forment une tribu spéciale à laquelle ces landes sauvages servent de royaume, sans que personne songe à leur en contester la possession, car les paysans regardent les garrigues comme le bien naturel des indigens. Seuls à ne rien posséder dans un pays où chacun a son coin de terre, les garrigaires peuvent ainsi jouir d’une espèce de domaine commun. La liberté et le grand air sont pour eux les premiers des biens. Ils partent au point du jour pour leurs collines pierreuses, et n’en reviennent qu’après le coucher du soleil. Ayant peu de rapports avec le reste des villageois, ils sont considérés comme une peuplade à demi sauvage : un paysan vis-à-vis d’un garrigaire est aussi convaincu de sa supériorité qu’un bourgeois vis-à-vis d’un vagabond. Frappés par la même misère, réunis par le même intérêt et obéissant aux mêmes coutumes, les bûcherons de la Gardiole vivent et se marient entre eux. Leurs journées se passent à recueillir, aidés de leurs femmes et de
- ↑ Tel est le nom donné au chêne épineux, appelé aussi porte-kermès, et qui fournit en effet le kermès végétal, autrefois employé par les teinturiers.