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serrées autour du jarret. Assis devant la grande table, la tête nue, il écrivait ; la plume s’arrêtait souvent, et souvent aussi il regardait le petit groupe, qui semblait absorbé tout entier par des occupations diverses. Ce chasseur pouvait avoir une trentaine d’années ; il avait le visage pâle, sérieux et doux, les yeux bleus, des cheveux abondans, bruns et soyeux, les traits fins, la physionomie rêveuse, et, comme contraste, une longue balafre blanche qui traversait le front et expirait sur la joue. On pouvait croire également que c’était un professeur de l’université de Heidelberg en train de faire une excursion scientifique, ou quelque jeune officier de la garnison de Rastadt heureux d’égayer par la chasse les loisirs d’un congé. Quand les yeux du jeune homme avaient fait le tour de la chambre, ils s’arrêtaient plus longtemps, et avec une complaisance rêveuse, sur le profil d’une jeune fille qui lisait à l’autre bout de la table. Il n’en détachait plus son regard sans un effort, et sa main paraissait ensuite plus lente à écrire. La jeune fille, objet de cette attention, n’avait pas plus de dix-huit ou dix-neuf ans ; deux épais bandeaux de cheveux blonds, semblables à des fils de soie couleur d’or, encadraient un front pur, placide et légèrement bombé ; un petit réseau de veines bleues courait sur les tempes. Ses paupières, abaissées et frangées de longs cils, projetaient une ombre ténue sur la blancheur mate de ses joues. Aucune émotion ne paraissait sur son visage, et jamais elle n’était distraite de sa lecture ; cependant sa respiration semblait oppressée, et sa poitrine se soulevait par mouvemens irréguliers et profonds. Tout en elle avait une apparence frêle et délicate ; le corsage étroitement serré par un fichu de mousseline, sa taille plate, ses bras souples, dont l’un soutenait sa tête pensive par une courbe harmonieuse, ses mains brunies par le hâle, mais d’une forme charmante, son cou mince et rond, l’expression sérieuse de sa bouche, faisaient songer à ces vierges qui ensevelissent leur jeunesse dans les ombres d’un cloître et semblent regretter une patrie inconnue. Auprès d’elle, un petit garçon dessinait des maisonnettes et des bonshommes sur une feuille de papier blanc. Il était bravement accroupi sur sa chaise, et ne manquait pas d’exposer son œuvre à la lumière après chaque.coup de crayon. À l’air de son visage, on devinait que cet artiste de dix ans donnait une pleine approbation à ce qu’il faisait. Plus loin, à-côté du poêle, un homme a cheveux grisonnans, vigoureux, sec et de taille moyenne, assis entre un baquet plein d’eau et une tasse au fond de laquelle il y avait quelques gouttes d’huile, fourbissait le canon d’un fusil à deux coups, dont la crosse et la batterie, garnies de cuivre, venaient d’être nettoyées et polies à fond. On reconnaissait en lui le chef de la famille ; il portait le vêtement