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L’Hypocondriaque est l’éternelle comédie des collatéraux avides se pressant autour d’un malade. C’est d’abord une parente éloignée, Mme Belogrivof, pauvre veuve qui arrive avec son fils, et qui abrège l’existence du moribond par ses plaintes, ses soupirs, par l’insistance qu’elle met à se faire porter sur son testament. Après elle, le malheureux Dournopetchine se voit assiégé par une demoiselle Koronitch qu’il avait courtisée il y a une dizaine d’années, et qui n’a point perdu l’espoir de finir ses jours avec lui dans une légitime union. Pour l’y décider, elle invoque le secours d’un jeune officier, son frère, qui remplit sa tâche d’intimidation avec un impitoyable acharnement. Ce n’est pas tout ; le malade voit encore paraître un cousin dont il ignorait jusqu’à l’existence, et qui le menace d’un procès s’il ne lui compte une assez forte somme d’argent. Si l’intrigue d’une pareille comédie n’est pas très neuve, si les situations qu’elle expose ne s’enchaînent pas rigoureusement les unes aux autres, ce qui lui donne sa véritable valeur, c’est la gaieté qui l’inspire, la verve qui anime les personnages ; c’est qu’il s’y rencontre en un mot quantité de ces remarques originales, de ces détails curieux, qui préparent peu à peu la voie à un théâtre véritablement national.

Le talent de M. Pisemski s’est révélé d’une manière plus complète dans un roman qui a été l’un des grands succès de la littérature russe en 1859. Qu’est-ce donc que ce livre appelé Mille Ames ? C’est la satire de l’ambition vulgaire, c’est le tableau fidèle des mœurs de cette classe administrative à laquelle l’auteur a lui-même longtemps appartenu ; il représente d’ailleurs une des formes les plus récentes du roman satirique en Russie. On peut distinguer deux parties dans Mille Ames. L’auteur prend un fonctionnaire russe au début de sa carrière, et le montre d’abord poursuivant, à travers quelques aventures romanesques, un riche mariage avec une âpreté qui rencontre enfin le succès. Plus tard, c’est encore le même personnage qui s’offre à nous. Devenu chef du gouvernement d’une province, cet homme, qui a réussi par l’intrigue, combat l’intrigue elle-même avec un acharnement étrange, et comme si l’origine de sa fortune lui faisait horreur, il s’applique à frapper tous ceux qui voudraient réussir par de semblables moyens. Ainsi s’expliquerait l’incorruptibilité de plus d’un fonctionnaire russe, qui cherche à faire oublier de tristes précédens par un excès de sévérité, et croit réparer des erreurs de jeunesse par des abus de pouvoir ; telle est peut-être la principale application morale qu’on peut tirer du livre, et c’est ce dont on pourra se convaincre par un rapide examen du récit et des caractères tels que l’auteur les a conçus.

Dans une petite ville de province, le directeur du collège, Petre