Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/497

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et de durée, de se raffermir dans des conditions nouvelles, fût-ce au prix de l’abandon d’une province qu’on ne pourrait désormais lui rendre que par la force. C’est là le fait assez grave pour devenir un des plus épineux problèmes de la politique, et qui dans sa gravité même toutefois ne saurait certainement être élevée jusqu’à la hauteur d’une atteinte portée à la puissance spirituelle du souverain pontife. S’il est encore des théoriciens absolus, et il y en a, nous le savons trop, en France aussi bien qu’à Rome, qui s’efforcent d’étendre au pouvoir temporel le caractère indiscutable du pouvoir religieux, ils trouvent peu d’écho. Cela est si vrai que M. l’évêque d’Arras lui-même n’hésite nullement à admettre qu’on puisse, comme catholique, se complaire dans ce qu’il appelle cette hypothèse mystique du père commun des fidèles n’ayant plus à s’occuper de son temporel et pouvant donner exclusivement tous ses soins au salut et à la perfection des âmes. Il en résulte que la souveraineté temporelle du saint-siège est un fait essentiellement politique ; elle s’est formée, comme toutes les souverainetés, par des cessions, par des donations, par des traités, quelquefois même par la conquête, et elle reste soumise aux mêmes vicissitudes. Sans doute, à un certain point de vue, il y a un caractère exceptionnel dans cette souveraineté. L’existence temporelle du pape est la garantie de son indépendance comme pontife. Les raisons sur lesquelles se fonde cette alliance des deux pouvoirs dans une même main, tout le monde les connaît. Pour la dignité de sa puissance, pour la liberté de son action, le souverain pontife ne peut être ni Français, ni Autrichien, ni Espagnol ; mais cette existence temporelle indépendante n’est point par elle-même en dehors des lois et des conditions ordinaires de la politique. En un mot, les droits souverains du pape dans ses rapports avec ces états sont, comme tous les droits de ce monde, limités par d’autres droits, notamment par ceux des populations, qui peuvent aspirer légitimement à être gouvernées dans un esprit de nationalité et suivant des principes conformes à la civilisation de leur temps.

Il y dans la dernière lettre de M. l’évêque d’Orléans un passage remarquable où l’éminent prélat ouvre un dialogue singulier avec l’auteur de la brochure sur le Pape et le Congrès. « Le pape doit vivre sans armée, dit l’auteur de la brochure. — Et pourquoi cela ? répond M. l’abbé Dupanloup ; qu’est-ce qui l’empêche d’avoir une armée, non pour attaquer, mais pour se défendre et protéger l’ordre public ? — Le pouvoir pontifical, poursuit l’auteur du Pape, est incompatible avec un état de quelque étendue. Il n’est possible que s’il est exempt de toutes les conditions ordinaires du pouvoir, c’est-à-dire de tout ce qui constitue son activité, ses développemens, ses progrès. Il doit vivre sans représentation législative, sans code et sans justice. Ses lois seront enchaînées aux dogmes, son activité sera paralysée par la tradition, son patriotisme sera condamné par sa foi… — Et par quelle raison tout cela ? reprend M. l’évêque d’Orléans ; est-ce que les dogmes catholiques dispensent une nation d’avoir des lois, un code, une justice ? Est-ce que par hasard les bonnes lois et la bonne justice sont incompatibles avec les dogmes catholiques ? Depuis quand la foi condamne-t-elle le patriotisme ? » Oui, en effet, pourrait-on dire avec M. l’évêque d’Orléans, pourquoi tout cela ? Il n’y a rien assurément d’incompatible entre le catholicisme