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du millier d’empoissonnage est de trois livres, et le moindre prix des poissons de deux ans est de vingt livres le cent. Il n’y a donc aucune espèce de biens et de revenus plus considérables que ceux des étangs ; il n’y en a point de plus sûrs, parce que tout ce qui gâte les vignes et les blés ne fait aucun mal aux étangs. Nous ne devons pas porter envie aux autres provinces qui cueillent les vins les plus précieux, et qui ne passent pas un jour sans crainte et sans péril ; leurs revenus sont plus délicieux et plus recherchés, les nôtres sont plus sûrs. »

Un autre document du même temps et même un peu plus ancien, puisqu’il date de 1683, nous révèle cependant qu’une opposition aux étangs avait dès lors commencé à se produire ; c’était devenu une question de caste. Un édit bursal ayant mis un impôt de trois livres sur chaque cent de poissons, qui sortirait de la province, le premier syndic du tiers-état prit la défense de cet impôt dans un mémoire dont voici un passage : « Ceux qui ont intérêt à empêcher l’effet de cet édit sont messieurs de l’église et de la noblesse qui possèdent presque tous les étangs, le tiers-état n’en possédant pas la centième partie. Il serait avantageux au tiers-état que l’imposition fût si grande sur le poisson, que la noblesse et l’église fussent contraints de tenir toujours à sec leurs étangs, tant parce que l’air serait meilleur au pays, et l’on ne serait pas si sujet aux maladies, que parce qu’il abonderait en foins, dont ils sont en disette, les meilleurs fonds étant occupés par les eaux, et la province s’en peuplerait davantage. »

Malgré cette protestation, qui jette un jour curieux sur l’histoire du pays, messieurs de l’église et de la noblesse l’emportèrent, et pendant tout le cours du XVIIIe siècle on continua à bâtir de nouvelles chaussées et à créer de nouveaux étangs. La Dombes formait encore à cette époque une principauté particulière ; il y a un siècle à peine qu’elle a été définitivement réunie à la couronne, en 1762. Parmi les possessions de la fameuse Mademoiselle, la principauté de Dombes était considérée comme une des plus riches, et quand elle voulut faire reconnaître par Louis XIV son mariage avec Lauzun, ce fut cette principauté que le roi lui demanda en échange pour le duc du Maine. Jusqu’à la veille de 1789, le prince souverain de Dombes a eu son hôtel des monnaies, ses tribunaux, ses lois, sa chancellerie, ses états particuliers ; ses revenus étaient évalués à plus de 300,000 livres. Nul doute que le produit des étangs ne fût pour beaucoup dans cette richesse féodale. Une terre en Dombes a été longtemps, à cause de ce produit, très recherchée. Il paraît même que vers les premières années du siècle dernier les seigneurs déportèrent sur les bords de la Saône et du Rhône une partie de la population de l’intérieur pour être moins gênés dans l’exercice de cette industrie, et en vérité, le système des étangs une fois admis, c’était ce qu’il y avait de mieux à faire.

Le dictionnaire d’Expilly, publié en 1764, vante la douceur du climat de la Dombes, la fertilité du sol, la sagesse de son gouvernement, et termine ainsi cette description flatteuse : a En un mot, la Dombes est un des meilleurs et des plus beaux pays du royaume. »

Encore aujourd’hui, après une baisse sensible dans le prix du poisson, on retire en moyenne tous les deux ans, par hectare d’étangs, 165 kilogrammes