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comme le ferait un père. Ne retournez point chez Mme de Marçay. Je ne suis pas sûr de vous. Que vous le sentiez ou non, la vraie cause de votre retour, c’est ce témoignage banal d’intérêt que, par pure politesse, Mme de Marçay vous a donné après votre départ. Je suis certain comme si je le voyais que si vous retournez chez elle, quoiqu’elle ne soit nullement changée à votre égard, vous ne trouverez pas une seconde fois la force de partir. Ce n’est pas une coquette, bien que le monde ait assez de prétextes et puisse citer assez d’exemples pour le croire. La coquetterie la plus habile ne pourrait donner à Mme de Marçay plus de pouvoir que ne lui en a donné la nature pour retenir invinciblement auprès d’elle ceux qui l’ont une fois aimée. A vrai dire, vous ne l’aimez pas encore assez pour qu’il vous soit impossible d’éviter ce malheur. Vous avez été violemment ému, je le veux bien, d’une première rencontre, soit que le genre particulier de sa beauté ait répondu à votre inclination naturelle, soit que vous fussiez ce soir-là disposé à vous laisser séduire; mais qu’est-ce que cette surprise de l’imagination à côté de la servitude où vous fera certainement tomber la fréquentation de cette aimable femme? Si vous n’aviez comme tant d’autres rien de mieux à faire en ce monde, je vous dirais volontiers : Aimez inutilement Mme de Marçay; c’est une occupation plus noble que le jeu ou la débauche. Mais considérez si vous êtes disposé à faire de cet amour la grande affaire de votre vie : c’est tout ou rien; je vous l’assure, il faut choisir.

Je lui aurais parlé plus longtemps encore si je n’avais senti que, malgré l’apparence de l’attention la plus respectueuse, il m’écoutait à peine et ne changeait point de résolution.

— Que vous êtes bon et que je vous aime! me dit-il; mais vous prêchez un converti. Causons d’affaires plus sérieuses.

Il retourna dès le lendemain chez Mme de Marçay, y revint quelques jours après, puis plus souvent, puis presque tous les jours, et compta bientôt parmi les plus fidèles habitués de sa maison. J’étais avec Mme de Marçay la personne qu’il voyait le plus assidûment, et après elle, j’en suis sûr, la personne qu’il aimait le plus au monde. Il avait renoncé à me cacher la vérité; j’avais renoncé de mon côté à des conseils inutiles; nous causions sans cesse et librement de son mal, et c’est avec ses confidences journalières que je vous achèverai ce triste récit.

Mme de Marçay l’avait revu sans embarras, sans lui laisser croire en aucune façon que ce départ et ce retour fussent pour elle des affaires importantes, sans s’y montrer non plus complètement indifférente. Ferni avait retrouvé tout son sang-froid, au moins en apparence; il évitait soigneusement tout ce qui pouvait amener une