Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/58

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sacrifice absolu : ses mains se promenaient toujours sur le clavier, et souvent elle chantait le soir des airs qui troublaient son sommeil et l’agitaient comme un arbrisseau secoué par la bise. Ainsi contre tout Salomé luttait avec vaillance et résolution, et cependant elle n’était pas encore maîtresse d’elle-même. De là ces longs silences et cette tristesse où elle s’absorbait. Devait-elle espérer la guérison, et les prières qu’elle adressait au Très-Haut seraient-elles exaucées ?

Une rougeur fébrile passait sur le visage de Salomé pendant cette confession, la première qu’elle eût faite ; ses yeux, noyés dans l’espace, étaient tout brillans de larmes. Rodolphe laissa tomber cette émotion à laquelle la jeune fille ne cédait pas sans résistance, et lui demanda bientôt après si elle n’avait jamais ouvert son âme à son père ; peut-être consentirait-il à descendre pour elle dans les villes, à quitter cette solitude où Salomé s’épuisait en luttes stériles ; ne l’aimait-il pas assez pour lui faire tous les sacrifices ? Salomé releva la tête : — Et c’est parce qu’il m’aime comme le fruit de ses entrailles que je ne lui en parlerai jamais ! s’écria-t-elle avec un feu extraordinaire. Moi, son enfant, l’arracher à cette chère montagne où son père a vécu, où ma mère est morte, où il a trouvé la paix du foyer domestique, où chaque tronc d’arbre qu’il a vu grandir est comme un compagnon de son enfance, où il est aimé, honoré, libre ! . Ah ! plutôt que de lui porter ce coup, je réduirai mon cœur en poudre !…

Elle appuya son front brûlant sur ses mains jointes, et garda le silence. En ce moment, Zacharie, qui faisait rouler des pierres dans le lac, revint en courant : — Il est tard et voilà le soleil qui se couche, cria l’enfant du plus loin qu’il aperçut Rodolphe, il faut partir. Salomé se leva : — Dieu m’envoie cette épreuve, que son nom soit béni ! dit-elle. Et, marchant devant Rodolphe, elle entra d’un pas ferme dans la forêt.

Cet entretien avait produit sur l’esprit du chasseur une impression profonde. Il eut pour résultat de le rapprocher encore de Salomé, Rodolphe était sûr à présent que le sang coulait sous cet épiderme froid, et que la vie s’agitait dans ce sein comprimé. Il ne lui trouvait pas plus de charme, elle lui était plus sympathique. Les chasses et les promenades continuèrent. Le froid descendit sur la montagne, quelques flocons de neige, un vent plus âpre, annoncèrent l’hiver ; Rodolphe ne quitta pas la Herrenwiese.


III

Cependant cette conversation, dans laquelle Salomé avait épanché sa tristesse, ne se renouvela plus. À quelque temps de là, si elle n’évitait pas la présence de Rodolphe, elle se montrait moins prompte à