Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/616

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tôt un lieu de plaisir. A tout instant du jour, des nageurs blancs et noirs plongent du haut de la jetée, s’ébattent comme des tritons autour des navires et changent l’eau bleue en une vaste étendue d’écume ; les sambos oisifs restés sur la rive et les matelots appuyés contre le bordage des navires jugent des exploits des nageurs, et par de longs applaudissemens rendent hommage au plus habile.

Aussitôt après les premières heures de la matinée, consacrées au marché, les places et les rues de Sainte-Marthe perdent la physionomie affairée que leur avait donnée le concours des Indiens, et le far niente y devient aussi général que sur le port : les quatre ou cinq cents boutiques ouvertes à tous les coins de rue et offrant aux acheteurs une petite provision de bananes, de cassave, d’allumettes chimiques et de chicha se désemplissent ; les habitans de Gaïra, de Mamatoco, de Masinga se retirent en caravane, poussant devant eux une longue procession d’ânes et de mulets. Alors les Samarios, restés en possession de la ville, commencent leur sieste, ou bien, s’asseyant au seuil des portes, conversent gaiement sur les incidens de la matinée, tandis que les señoritas, à l’extrémité des frais corridors, se bercent dans leurs hamacs suspendus aux colonnes des patios. A mesure que la chaleur augmente, les voix s’éteignent peu à peu, les insectes mêmes cessent de bourdonner : on dirait que la ville entière repose et s’alanguit sous une atmosphère de volupté. Le travail semble un effort inutile dans cet heureux climat, où la paix descend des montagnes vertes et du ciel azuré. Comment blâmer ces populations de s’abandonner à la joie physique de vivre lorsque tout les y invite? La faim et le froid ne les torturent jamais; la perspective de la misère ne se présente point devant leurs esprits; l’impitoyable industrie ne les pousse pas en avant de son aiguillon d’airain. Ceux dont tous les besoins sont immédiatement satisfaits par la bienveillante nature ne cherchent guère à réagir contre elle par le travail et jouissent paresseusement de ses bienfaits : ils sont encore les enfans de la terre, et leur vie s’écoule en paix comme celle des grands arbres et des fleurs. Souvent aussi la chaleur, sans être accablante à cause de la brise qui la tempère toujours, est tellement forte que toute activité devient fatigue, car Sainte-Marthe est située sous l’équateur météorologique du monde, et la température moyenne y est de 29 degrés centigrades. Quand les vallées et les plateaux de la Sierra-Nevada seront peuplés par des centaines de milliers d’agriculteurs, alors les Samarios, aujourd’hui si peu actifs, seront entraînés dans le grand tourbillon du travail, et le commerce aux bras immenses s’emparera de Sainte-Marthe comme il s’est emparé de tant d’autres villes tropicales qui s’endormaient aussi sous un ciel enchanteur. De nos jours, la capitale de l’état du