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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/661

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mon nom d’un pareil refus. Cependant, avant de prendre un parti dont je ne me dissimulais point la gravité, je voulus essayer de concilier ce qu’exigeaient le soin de mon honneur et le respect du droit international. Je songeai à faire appel aux sentimens élevés que la voix publique prêtait au général Bolivar. Mon espoir ne fut pas déçu. J’avais fait demander au général de consentir à l’embarquement des troupes espagnoles sur les bâtimens de ma division, prenant de mon côté l’engagement de ne débarquer ces troupes qu’à Puerto-Cabello. Dès le lendemain, le colonel don José Pereyra recevait du libérateur, général en chef, président de la république de Colombie, cette courte dépêche : « Par considération pour les vaillantes troupes que vous commandez, j’adhère aux articles de la capitulation que vous avez arrêtée de concert avec les officiers de la division française. Je l’approuve dans toutes ses parties, et j’espère qu’en exécution de cette convention la place de La Guayra sera remise dans deux heures aux armes de la république. »

Informé sur-le-champ de l’issue presque inespérée d’une négociation si délicate, j’envoyai mon premier aide-de-camp à terre pour qu’il s’entendît avec le colonel Pereyra sur les moyens d’activer autant que possible l’évacuation de la ville et l’embarquement des troupes. Je chargeai en même temps cet officier de porter mes remerciemens au général Bolivar. « C’est à moi, répondit le général, de remercier et de féliciter M. L’amiral. La conduite qu’il a tenue en cette circonstance est un témoignage irrécusable des loyales intentions de la France. Il m’a fourni en même temps l’occasion de prouver au monde, et en particulier à l’Espagne, que nous ne faisons pas pas la guerre en barbares. Le colonel Pereyra est un excellent militaire qui défend avec une constance incroyable une cause injuste et perdue. Je lui ai accordé une capitulation qu’il ne pouvait raisonnablement espérer; je la lui ai accordée parce que je suis sûr qu’il se fût défendu jusqu’à la dernière extrémité. C’eût encore été du sang inutilement répandu. Nous devons tous les deux à M. L’amiral, de l’avoir épargné. »

Je trouvai, je l’avoue, une véritable grandeur dans ces paroles, et je ne pus m’empêcher de me sentir honoré de l’opinion flatteuse que le président de la république colombienne voulait bien exprimer sur mon compte. Bolivar n’était plus alors un chef de partisans, soutenant avec plus ou moins de succès une lutte factieuse contre l’autorité de son roi légitime : c’était un général illustre, salué par ses compatriotes du nom de libérateur et cité dans l’Europe entière comme le plus vaillant champion de l’indépendance américaine. Bolivar n’occupera pas dans l’histoire le même rang que Washington. L’histoire tient moins compte aux héros des vertus