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d’azur et les rinceaux de pourpre d’un vieux missel découvert à Syracuse ? Je ne me lassais pas de regarder cette figure candide d’un caractère si singulier. La première fois que je vis Salomé, il me sembla la reconnaître, moi qui ne l’avais jamais vue. Peu de temps après, un jour que, couronnée de fleurs, elle tenait un enfant sur les fonts baptismaux, une exclamation faillit m’échapper des lèvres. Je ne m’étais pas trompé en la reconnaissant. J’avais devant les yeux cette tête de Vierge qui m’avait charmé, et dont le regard mystique et la chevelure d’or illuminaient les marges jaunes du vélin. Un trouble inexprimable s’est emparé de moi. J’ai vu dans cette rencontre le doigt de la destinée. Il y a si loin de Syracuse à la Herrenwiese !

« Ma vie s’écoule à regarder Salomé, à la suivre des yeux, à la chercher, à m’enivrer de sa présence. Nous n’échangeons pas quatre paroles en une journée. Je sens bien que le bonheur serait auprès d’elle. Je ne puis pas y atteindre. Souvent je chasse tout un jour, mais j’emporte son souvenir avec moi. Jacob, qui m’accompagne, sourit quand je néglige de tirer un chevreuil qui part d’un taillis ou quelque coq de bruyère qui de ses grands coups d’aile fait retentir la voûte des bois. Hélas ! je ne pense qu’à Salomé, je ne vois que Salomé !

« Et cependant tu sais si j’ai l’humeur romanesque ! moi qui n’aimais que les plantes et les coquilles, les médailles et la chasse, les courses lointaines et les livres ! Ah ! que je donnerais tous ces biens pour tenir sa petite main dans la mienne ! Se peut-il que l’on change si profondément et si rapidement ?

« Il m’a fallu, misérable que je suis, tromper le bon Jacob pour trouver un prétexte à ce long séjour que je fais dans la montagne. La chasse n’y suffisait plus. On entend si rarement le son de mon fusil dans la forêt ! Je compose donc un herbier dans lequel je veux collectionner toutes les plantes de la flore locale. J’en ramasse par-ci par-là quelques-unes que je mets proprement sécher dans de grandes feuilles de papier blanc qui font l’admiration de Zacharie. Il ne comprend pas, le cher petit, pourquoi l’on gâte ainsi du beau papier sur lequel on pourrait dessiner tant de bonshommes et tant de maisonnettes ; mais à ma collection j’aurai toujours grand soin qu’il manque quelque fleur, une fougère, un brin de mousse. L’honnête Jacob m’apporte souvent des plantes qui lui semblent curieuses. Je rougis en les recevant.

« Cette situation cependant ne peut pas durer. Salomé tient toujours ce qu’elle promet. Chaque fois qu’une affaire ou un hasard amène un étranger dans la maison du garde, s’il est jeune, s’il est bien tourné, s’il la regarde attentivement, je tremble que ce ne soit le mari qu’elle a résolu d’accepter aussitôt que son père le