Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/678

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chargées les unes de charbon, les autres de curieux. On n’y voyait qu’une seule voiture à voyageurs proprement dite, sorte de lourd omnibus, sans élégance, construit sur les dessins et à la demande de Stephenson; mais on songeait encore si peu à voyager sur les chemins de fer, que les directeurs, uniquement préoccupés du transport du charbon, abandonnèrent à un entrepreneur le droit de circuler sur la voie avec cet omnibus, traîné par deux chevaux. On parcourut d’abord une fois par jour seulement la distance de Darlington à Stockton; les voyageurs affluèrent presque aussitôt, et de nouvelles voitures furent construites; la concurrence de plusieurs entrepreneurs rendit le service ordinaire du chemin de fer de plus en plus difficile, et la compagnie dut se décider à reprendre elle-même en main le transport combiné des marchandises et des voyageurs. Les bénéfices s’accrurent au-delà de toute espérance : on n’avait jamais compté que sur un transport annuel de 10,000 tonnes de charbon à Stockton. Au bout de peu de temps, le chiffre s’élevait à 500,000 tonnes, et au point d’embarquement, alors désert, on voyait s’élever la ville, aujourd’hui si florissante, de Middleborough, qui compte déjà plus de quinze mille habitans.

Cette première victoire de George Stephenson fut suivie de nouveaux et rapides succès : Manchester commençait à prendre le gigantesque développement qui a fait de cette ville le centre industriel le plus important de la Grande-Bretagne, et lui a valu dans la représentation nationale une place en quelque sorte exceptionnelle. Manchester reçoit du port de Liverpool le coton brut qui est mis en œuvre dans ses nombreuses filatures : à l’époque dont nous parlons, le transport se faisait sur les canaux ; mais durant les grands froids les bateaux étaient arrêtés par la glace, et il arrivait quelquefois que la matière première restait plus longtemps en route de Liverpool à Manchester que des ports des États-Unis aux ports anglais. On songea, pour assurer plus de régularité et de célérité aux transports, à établir entre les deux villes une voie ferrée. A plusieurs reprises, on envoya des agens à Stockton pour examiner le système de Stephenson et l’interroger lui-même; enfin on lui confia les premières études de la ligne projetée. Cette mission n’était pas sans danger : les fermiers et les laboureurs du pays se montraient des plus hostiles à une entreprise qu’on leur avait fait considérer comme très menaçante pour leurs intérêts; ils s’opposèrent souvent avec une extrême brutalité aux études préliminaires sur le terrain. Les tenanciers des lords Derby et Sefton et les employés d’un canal, qui était la propriété du duc de Bridgewater, se montrèrent particulièrement obstinés. A Knowley, Stephenson fut chassé lui-même par les fermiers de lord Derby, et l’accès des terres du noble duc