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Stephenson. Quand celui-ci commença ses premiers travaux, il s’adjoignit quelques jeunes gens obscurs, mais choisis avec soin, leur donna de bonne heure l’habitude de la responsabilité, les mit aux prises avec de grandes difficultés. Presque tous sont devenus des hommes distingués dans leur profession, et ont toujours conservé pour leur maître les sentimens de la plus affectueuse reconnaissance. Son fils Robert Stephenson en recueillit aussi une grande part; mais sa popularité dépassait bien les bornes de l’existence professionnelle : plus mêlé au monde que son père, longtemps membre du parlement, il avait acquis par son talent une influence considérable dans la société anglaise, tout en méritant l’estime universelle par sa bonté, sa générosité, son caractère droit et sympathique. Il mourut dans le mois de novembre 1859, léguant 625,000 francs à diverses institutions publiques; il se montra surtout généreux envers celles de Newcastle, prouvant ainsi qu’il n’avait point oublié la province où il était né, où il avait passé sa laborieuse jeunesse. Le jour de ses funérailles, des muliers d’ouvriers quittèrent les fabriques de Newcastle pour célébrer un service en son honneur. Dans le port de cette ville ainsi qu’à Gateshead, Sunderland, Shields, Whitby, les navires prirent le deuil. En même temps, les portes de Westminster-Abbey s’ouvraient à Londres pour recevoir les restes de l’illustre ingénieur : l’Angleterre lui conférait ainsi le plus grand honneur qu’elle puisse accorder à l’un des siens.

Le célèbre constructeur des grands ponts tubulaires du détroit de Menai, du Canada et de l’Egypte repose aujourd’hui au milieu des grands hommes qui par les armes, la vertu, le génie, ont porté dans le monde entier le nom de la l’Angleterre. Ne devrait-on pas aussi déposer à Westminster les restes de George Stephenson lui-même? Comme ils étaient unis dans la vie, George et Robert devraient l’être dans la mort. La gloire ne peut se disputer par lambeaux entre un père et un fils; néanmoins c’est dans George Stephenson que la postérité reconnaîtra toujours le véritable créateur des chemins de fer. Tandis que les siècles ont effacé le souvenir des inventeurs des temps passés, tout en nous transmettant leurs bienfaits, son nom sera légué à l’avenir le plus lointain et grandira toujours, à mesure que, par le mélange pacifique des peuples et des races, s’accomplira la grande révolution sociale dont il a été l’un des instrumens, et dont nous entrevoyons seulement la brillante aurore.


AUGUSTE LAUGEL