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nationale. Quel que soit le prix que nous attachions à la paix, nous aimerions mieux les voir faire la guerre à l’Autriche que s’attaquer au pape.

Il est cependant bien regrettable que, malgré la bonne tournure qu’ont prise et que conserveront sans doute, sous la conduite de M. de Cavour, les affaires italiennes, la confiance dans la paix ait tant de peine à s’établir dans les esprits. Nous aurions particulièrement besoin en France aujourd’hui de cette sécurité confiante que la véritable paix inspire pour tirer de la politique commerciale inaugurée par le récent programme impérial tout le profit qu’elle comporte. Si les combinaisons diplomatiques sont la politique de la guerre, il est plus vrai encore de dire que les réformes douanières, fiscales, économiques, sont la politique essentielle de la paix. Nous aurions, quant à nous, mauvaise grâce et mauvaise foi à ne point applaudir à la plupart des principes exposés dans le programme impérial. Nous les avons depuis longtemps maintes fois développés, et nous en demandions récemment encore la réalisation, au moment où nous défendions contre une certaine presse l’alliance de la France et de l’Angleterre. Il y a longtemps déjà, nous débutions même dans la Revue en racontant la politique commerciale de l’Angleterre, en expliquant le système des réformes de M. Huskisson en 1824-1825 et de la révision du tarif anglais par sir Robert Peel en 1842[1]. Disons-le tout de suite, le programme impérial se distingue par les vues d’ensemble qu’il faut en effet apporter dans l’étude et le gouvernement des intérêts économiques ; mais que l’on veuille bien nous passer une délicatesse de dilettantisme politique qu’il est sans danger d’exprimer dans notre pays, car elle y est le partage d’un infiniment petit nombre d’esprits. Nous aurions mieux aimé, si nous avions une voix aux conseils suprêmes, que la France eût été convertie à la liberté commerciale par la discussion et la persuasion raisonnée que par un miracle de la grâce. Au temps où M. Disraeli essayait de venger les protectionistes anglais contre la défection pourtant si heureuse de sir Robert Peel, il se servait d’une comparaison amusante pour représenter la manœuvre forcée que l’illustre ministre voulait faire exécuter à son parti. Sir Robert, disait-il, imitait Charlemagne convertissant les Saxons en masse, et d’un coup de goupillon faisant transformer des milliers de païens en disciples du Christ. Peut-être la comparaison nous est-elle plus applicable qu’aux protectionistes anglais, car ceux-ci demeurèrent longtemps rebelles, et eurent besoin d’arriver au pouvoir en 1852 pour consommer leur conversion. Quelques journaux anglais ont poussé la flatterie jusqu’à nous envier la promptitude à faire le bien que nous devons à nos institutions, et qui manque à la constitution anglaise. Sans repousser le compliment, nous leur ferons observer qu’ils oublient les compensations que leur offrent les lenteurs des institutions britanniques. En Angleterre, il est vrai, le mouvement de réforme commerciale a commencé en 1820 par la célèbre pétition des négocians de Londres, où les vrais principes de la liberté étaient si admirablement exprimés ; mais une réforme semblable Scelle que nous allons accomplir ne se fit pas trop longtemps attendre, puisque les mesures de M. Huskisson, qui abolissaient les prohibitions et fixaient à 30 pour 100 de la valeur le maximum

  1. Politique commerciale de l’Angleterre depuis sir Robert Walpole jusqu’à sir Robert Peel, — Revue du 15 août 1843.