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qu’elles devraient, ce semble, ne connaître que par ouï-dire? Que signifie aussi cette tendance, si nettement accusée dans leurs écrits, vers l’analyse des problèmes les plus sérieux, les plus ardus, et jusqu’à ces derniers temps les plus inaccessibles pour une femme, même mariée? Nous admettons bien, pour répondre à cette dernière question, que les romanciers ont montré le chemin à leurs innocentes émules; toujours est-il à remarquer que celles-ci deviennent de plus en plus graves, religieuses, moralisantes et prédicatrices, tandis que les modèles dont elles semblent s’être inspirées reviennent de plus en plus au cadre du roman pur et simple, du conte d’autrefois, écrit « pour narrer, non pour prouver, ». pour amuser plus que pour instruire. Encore quelques pas des uns et des autres dans cette double voie, et l’on pourrait assister à un curieux échange de rôles : les hommes brodant au tambour et faisant de la tapisserie, tandis que ces viriles jeunes personnes (toutes ne sont pas si jeunes, il faut le croire) les rappelleront au culte des mâles vertus, leur prêcheront les grands sacrifices, les austères dévouemens, et tantôt armées de la Bible, tantôt de quelque traité d’économie politique, leur diront en quel sens et par quels moyens les grandes réformes sociales peuvent s’accomplir.

Pour le moment, il suffit de constater ce qui se passe. Les hommes, mêlés de bonne heure et pour toujours à la vie de plus en plus active, de plus en plus absorbante, que nous font les mœurs actuelles, se trouvent par là même privés des loisirs impérieusement exigés pour la composition de ces œuvres longues et patientes que le mot de « roman » qualifie si mal. Ils agissent trop pour rêver assez; ils se dispersent trop pour arriver au degré voulu de concentration et d’attention. La foule humaine passe trop rapide et trop mobile sous leurs yeux pour qu’ils puissent en détacher des types choisis avec réflexion, étudiés avec amour. Les affaires sont là d’ailleurs qui dominent leur pensée et réclament leurs soins assidus : parmi les affaires, les distractions impérieuses, elles aussi, qui s’imposent et ne laissent pas son cours à l’élaboration continue d’une pensée unique. Un dîner de club prépare mal à une scène pathétique. Supposons Jean-Jacques allant retrouver son Héloïse à l’issue d’un meeting philanthropique. Bernardin de Saint-Pierre pensant à Virginie au sortir d’une exhibition industrielle, et nous aurons une idée assez nette de la situation difficile où se trouve le romancier anglais de nos jours. Faites-vous au contraire l’idée d’un de ces intérieurs paisibles, bien ordonnés, doucement comfortables, tant de fois décrits par miss Mulock et ces autres misses dont nous venons de parler : cottage propret, où le bois de chêne brille à l’égal du cuivre, tant le cuivre et le bois sont minutieusement soignés ; partout des