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cable, mais qui redevient folle de douleur devant le cadavre du perfide à qui elle venait de pardonner. Cette mort et celle de l’enfant de Hope Ansted préparent un dénoûment qu’on devine. Hope, consolée peu à peu et plus que jamais liée à « son frère » par les soins qu’il prend d’elle, les bienfaits dont il la comble, finira par comprendre de quel ordre est l’affection qu’il lui a vouée dès sa première jeunesse. Et le jour où Ninian, resté seul avec sa sœur aînée dans la maison d’où leurs « enfans » se sont envolés l’un après l’autre, se verra sur le point d’être abandonné par ce dernier membre de la famille dont il était le chef, ce jour-là, que fera la douce et reconnaissante Hope Ansted?

Un enfant est né à la plus jeune des filles qu’a successivement mariées le sage et laborieux Ninian; on le baptise, et, pour cette journée heureuse, Hope vient enfin de quitter, après des années, ses vêtemens de deuil. Le soir est consacré à des joies si vives, si turbulentes, qu’elles effarouchent le « chef de la famille, » ce vieillard précoce dont le front s’est, avant l’âge, couronné de cheveux gris. Il est réfugié dans son cabinet, un livre à la main, quand un léger coup frappé à la porte le fait subitement tressaillir, comme jadis. C’est que Hope s’annonçait ainsi autrefois, quand elle venait, en toute innocence, offrir son front candide aux baisers fraternels de son tuteur, et c’est elle en effet qui apparaît sur le seuil. Elle veut proposer à Ninian de partager sa solitude après le départ de Lindsay, la sœur aînée. Ninian d’abord ne répond rien. Ses yeux plongent dans ceux de Hope, et n’y trouvent que l’expression naïve d’une bonne et douce pensée; rien de moins, rien de plus. Aussi n’accepte-t-il pas le plan de vie qu’elle lui déroule.


« — Non, Hope,... répondit-il enfin; vous ne savez pas ce que vous me demandez... Ceci ne saurait être...

« Son accent grave et froid effraya presque la douce femme qui venait lui apporter cette cordiale requête. — Pourquoi non? ajouta-t-elle cependant d’un air intimidé.

« — Se peut-il vraiment que vous ne le sachiez pas ?

« En ce moment sans doute, elle entrevit comme un rayon avant-coureur de la vérité, car une teinte rosée vint animer ses joues. Ninian continua, poussé par une sorte de désespoir aventureux : — Ne voyez-vous pas que le monde a des idées différentes des vôtres, et que, si Lindsay s’en va, vous ne sauriez demeurer ici seule avec moi,... vous qui n’êtes pas ma sœur?

« La rougeur de Hope, désormais plus marquée, s’étendit de ses joues à son front et à son cou, qui se teignirent du pourpre le plus vif. S’il l’avait vue ainsi! mais il avait posé sa main sur ses yeux. Ceux de Hope, au bout d’un instant, se levèrent vers lui. Une expression nouvelle les animait : réserve mêlée de quelque souffrance et aussi de quelque sentiment plus intime, enfoui plus avant que les deux autres. — Il me faudra donc partir? dit-elle,