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vouement et d’abnégation de procurer à ceux qu’elles aiment la santé de l’âme et du corps ! Mais il ne s’agit pas ici de rêver : ce n’est pas pour le superflu que l’ouvrier travaille, c’est pour le nécessaire, et avec le nécessaire il n’y a pas d’accommodement. Il est malheureusement évident que, si la moyenne du salaire d’un bon ouvrier bien occupé est de deux francs par jour, et que la somme nécessaire pour faire vivre très strictement sa famille soit de trois francs, le meilleur conseil que l’on puisse donner à la mère, c’est de prendre un état et de s’efforcer de gagner vingt sous. Cette conclusion est inexorable, et il n’y a pas de théorie, il n’y a pas d’éloquence, il n’y a pas même de sentiment qui puisse tenir contre une démonstration de ce genre.

Il ne reste donc qu’un refuge à ceux qui veulent exempter la femme de tout travail mercenaire : c’est de prétendre qu’en fait le salaire d’un ouvrier suffit pour le nourrir lui et les siens. Il ne faut, hélas ! qu’ouvrir les yeux pour se convaincre du contraire. « En tout genre de travail, dit Turgot, il doit arriver et il arrive en effet que le salaire de l’ouvrier se borne à ce qui est nécessaire pour lui procurer la subsistance. » C’est en vertu de ce principe que les manufacturiers ont substitué peu à peu le travail des femmes à celui des hommes, et l’on sait ce qui serait arrivé, au grand détriment de l’espèce humaine et au grand préjudice de la morale, si le législateur ne s’était empressé de protéger les enfans contre les terribles nécessités de la concurrence. Il n’est donc pas permis d’espérer que le salaire d’un ouvrier soit jamais très supérieur à ses besoins, ou, ce qui est la même chose, que l’ouvrier, par son seul travail, suffise à ses besoins et à ceux de toute une famille. Il ne faut pas oublier non plus que la richesse d’un peuple résulte du rapport qui s’établit entre sa consommation et sa production. Si la France, nourrissant le même nombre d’ouvriers, produisait tout à coup une quantité moindre de travail, il est clair, ses dépenses restant les mêmes et ses bénéfices diminuant, que son industrie subirait une crise. Aussi ne peut-elle ni restreindre pour les hommes la durée du travail, ni se priver du travail des femmes et, dans une certaine mesure, de celui des enfans, à moins que les peuples rivaux ne fassent en même temps le même sacrifice. Toutes ces propositions étant des vérités d’évidence, on peut regarder comme établi que le travail de la femme est nécessaire à l’industrie, et que le salaire de la femme est nécessaire à la famille.

On dit que cette dure nécessité n’a pas été connue de nos pères ; mais nous ne sommes plus au temps où la mère de famille filait le lin et tissait la toile pour les usages domestiques. La véritable économie consiste désormais à travailler fructueusement pour l’industrie,