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I.

Nous n’avons pas eu en France de ces magnifiques enquêtes que l’on fait en Angleterre avec tant de dépenses et de fruit ; mais nous possédons un grand nombre de livres[1] où la situation de nos ateliers est décrite avec un soin minutieux, jugée avec une parfaite intelligence des conditions et des besoins de l’industrie. Rien n’est plus attachant que la lecture de quelques-uns de ces ouvrages. Les ateliers qu’ils décrivent, les mœurs qu’ils racontent, les horizons qu’ils ouvrent à la pensée, ont à la fois le charme d’un voyage de découverte et l’autorité d’un livre de morale. Pénétrons à leur suite dans les ateliers de la fabrique lyonnaise, car c’est surtout l’industrie de la soie, dont Lyon est le chef-lieu en France et même en Europe, qui a échappé jusqu’ici, au moins chez nous, au régime de la manufacture.

Les bonnes ouvrières de Lyon aiment leur état ; elles en parlent volontiers, souvent avec esprit, et il est vrai que ces métiers si propres, ces belles étoffes si souples et si brillantes ont quelque chose d’attrayant pour les mains et pour les yeux d’une femme. Quand on entre dans un atelier, c’est toujours la maîtresse qui en fait les honneurs, et qui répond avec un visible plaisir et beaucoup de netteté aux questions des visiteurs. L’une de celles qu’on appelle les camuses disait dernièrement, devant une commission d’enquête, que la soie est le domaine des femmes, et qu’elles y trouvent du travail depuis la feuille de mûrier où l’on élève le ver jusqu’à l’atelier où l’on façonne la robe et le chapeau. Il y a en effet toute une armée d’ouvrières de toute sorte sans cesse occupées sur ce frêle brin de soie. On étonnerait beaucoup la plupart des femmes du monde en leur apprenant combien il a fallu de peine pour faire leur plus simple robe, par combien de mains elle a passé. Nous avons d’abord toute une grande industrie agricole, l’industrie de la production, car la France produit une grande partie de la soie qu’elle met en œuvre, et elle en fournit même à l’Angleterre concurremment avec l’Asie. Il faut surveiller avec une sollicitude de tous les instans, depuis sa naissance jusqu’à sa métamorphose, ce petit ver qui se nourrit de la feuille du mûrier, et qui, à force de filer, se crée cette précieuse enveloppe qu’on appelle le cocon. Quand le cocon est formé et qu’on l’a débarrassé de la bourre, on saisit les fils de soie et on commence à les tirer, en en réunissant au moins trois et quelquefois vingt, suivant la grosseur qu’on veut obtenir. Les brins élémentaires qu’on

  1. Nous citerons notamment le dernier ouvrage de M. Louis Reybaud, Études sur le Régime des Manufactures.